L'amazone [Tome 1]

Chapitre 5: Le Traqueur

Je remontais la piste. Je connaissais cette odeur. Pas l'odeur d'un mâle, pas l'odeur d'un loup. L'odeur de ce mâle loup. Et en la sentant à nouveau, je ressentais un picotement dans mon dos. Le long de la cicatrice le barrant de part en part.
Je grognais. Qu'est-ce que cet idiot venait faire ici ? Même lui m'avait retrouvé aussi vite, alors qu'il était un piètre pisteur. Peut être que cette vallée n'était pas la cachette idéale au final. Le jeune loup frappa de nouveau à la porte. La harpie se leva, et mon instinct me dit qu'elle allait le déchiqueter. Elle avait fait une exception dans la journée en souvent une louve et en l'amenant chez elle - moi. Elle n'allait sûrement pas en faire une deuxième. Mais je ne pouvais tout de même pas le laisser se faire lacérer à mort par une divinité antique sous mes yeux.

"Attendez! M'écriais-je. C'est un... une connaissance.

J'avais failli dire ami. Ce n'était pas le cas : nous nous étions quittés brouillés, et j'avais tout fait pour ignorer ses nombreuses suppliques depuis. Je me précipitais et ouvrais la porte. Le jeune loup, tout de même de 4 ans mon aîné (ce qui équivalait au même âge pour des loups garous quasi immortels) était bien abîmé : ses vêtements étaient déchirés et tachés de boue, ses cheveux blonds et habituellement lisses étaient sales et décoiffés. Il me dévora des yeux, à son habitude, et je sentais déjà la moutarde me monter au nez.

"Si tu m'as retrouvée juste pour me harceler encore, le menaçais-je, je t'égorge immédiatement!
Il recula dans une posture de soumission, et prit un air penaud. Puis, semblant se rappeler de la raison de sa venue, ses yeux s'écarquillèrent et il se mit à débiter à un rythme rapide :
"Katarina ! Je suis vraiment désolé pour les 17 autres fois ! Mais là c'est pas pour ça ! Tu dois t'enfuir vite ! Je lui ai dit que je l'aiderais à le convaincre de te suivre sans problème mais bien sûr c'était juste pour avoir sa confiance. Et je pensait pas qu'il te trouverait aussi rapidement. Enfin, qu'il retrouverait ta trace! Il est encore dans le village à essayer de trouver où tu es partie. C'était une super idée de saturer ton odeur dans tout le hameau, ça rend ta traque plus difficile. Je lui ai faussé compagnie, mais il va s'en rendre compte et suivre ma trace jusqu'ici ! Tu dois t'enfuir, vite, il va arriver !
-Calme-toi! Criais-je. De qui est-ce que tu parles?
Il me regarda avec des yeux ronds, pensant sûrement que j'avais déjà compris. Eh bien non.
"Mais... de Kuro bien sûr! Ne reste pas là!
Je frissonnais. Kuro était le meilleur traqueur de la meute. Et accessoirement un être retord et violent, qui ne se suffirait sans doute pas de simplement me demander gentiment de le suivre. Merde. J'entendis derrière moi la voix de la Harpie.
"Entrez ou partez, mais ne restez pas sur le pas de ma porte. Ça refroidit l'intérieur.
Je ne pouvais pas rester. Si Kuro allait arriver, toute cette fuite n'avait servi à rien. Je remerciais rapidement la vieille divinité aux allures de grand mère et m'enfuyais en courant à travers champs. La nuit commençait déjà à tomber, l'air était glacial et me déchirait les poumons à chacune de mes inspirations saccadées. Je sentais et entendais Shawn courir derrière moi avec difficulté, plus épuisé que moi.
"Pourquoi être venu me prévenir? Lui lançais-je par dessus mon épaule.
Il ricana bêtement.
"Tu vas te moquer, mais je ne veux pas te voir épouser quelqu'un d'autre. Surtout un humain. Rajouta-t-il après une pause.
Je grognais. C'était bien une raison à la Shawn le pot-de-colle. Soudain, je sentis quelque chose arriver sur moi par la gauche. Je me jetais instinctivement en arrière et vit passer une ombre noire à l'endroit où je me tenais une seconde plus tôt et aller s'arrêter à quelques mètres de là. Un grand loup noir, avec deux lignes blanches courant du museau jusqu'à la queue. Kuro.
Il zozota avec sa gueule de loup:
"Zuis moi, zeune louve. Ne m'oblize pas à t'emmener de force.
Les loups acquièrent la capacité de parler sous leur forme animale après un certain âge. Cela témoignait de la vieillesse et de l'expérience de mon adversaire. Bien que ce soit un peu ridicule, je vous l'accorde.
"Je ne retournerais pas à la maison. Grinçais-je. Je ne me marierais pas à cet humain.
-Tu n'as aucune idée sans quelle situation délicate tu mets ton père. Soupira-t-il. (Je vous épargne le zozotement) Je vais devoir te chercher de force, j'imagine ! Rugit- il en se ruant vers moi, tout croc dehors.
Il fut percuté en vol par un loup crème, bien moins massif, mais qui avait l'avantage de la surprise. Ce dernier grogna dans ma direction, tentant de maintenir Kuro au sol. Shawn s'était transformé, et tentait de me protéger. Je devais en profiter pour fuir. Je me mis à courir de toutes mes forces en direction de la seule sortie se présentant à mes yeux. Je tournais à gauche, et fonçais vers la forêt. J'en atteignais l'orée lorsque j'entendis un rugissement et un couinement derrière moi. Je jetais un oeil, et vis Kuro lacérant le torse de Shawn, dominant ce dernier de tout son poids. Je me mis a courir d'autant plus vite, malgré mes jambes s'enfonçant profondément dans l'épaisse pellicule de neige. Les branches m'écorchaient le visage, les arbres étaient menaçant dans la lumière du couchant. Je ne pensât même pas à me changer en louve; quand bien même je l'aurais fait, j'aurais perdu du temps en me transformant, et Kuro était de toute façon bien plus rapide que moi. Je l'entendais, je le sentais, gagnant du terrain à chacune de ses immenses foulées, et le désespoir montais en moi. Des larmes coulaient sur mes joues, laissant une trainée humide qui gelait lentement dans l'air glacial. Il était tout prêt. Je tentais de slalomer entre les pins. Mais la pente toujours plus abrupte me ralentissait, m'épuisait, et je finis par m'écrouler, le visage dans la neige, les membres endoloris. J'entendis le hurlement de Shawn au loin. Je pensais à la vie que j'allais mener désormais, comme un oiseau en cage, comme un chien en laisse. Une laisse tenue par un humain. Je redoublais de pleurs.
"Par tous les Dieux... au secours... gémissais-je.
Il était là. Mais Elle aussi.