Chapitre III - La Bête

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En voilà, une sale affaire...non mais dans quel pétrin s'était-elle encore fourrée ? Nowi n'avait encore jamais affronté de créature aussi retords. Ce n'était pas la première fois qu'elle chassait ce genre de bête, mais c'était une nouveauté, en revanche, de se tuer autant à la tâche pour en éliminer une. La jeune femme avait découvert ce monstre, puisque c'en était un, dans un roncier, près de la ferme d'un pauvre homme terrifié. Il faut dire qu'il avait de quoi : la créature, sournoise au possible, murmurait aux oreilles de Jack -puisque tel était son nom- lorsque la lune était haut dans le ciel, de sorte que le pauvre homme n'avait pas fermé l'oeil depuis deux nuits. Il se reposait le jour venu, lorsque la bête en faisait autant, si bien que son commerce ne fonctionnait plus et que sa femme, faute de courage, l'avait quitté pour s'installer en ville. Il en aurait d'ailleurs fait autant si la créature ne l'en empêchait pas, mais quelle que soit l'heure à laquelle il tentait de s'échapper, le monstre lui intimait de n'en rien faire en lui chuchotant près du visage des mots dont la plupart était incompréhensibles. Terrifié, l'homme se réfugiait dans sa ferme, là où les susurrements étaient moins omniprésents. Nowi en avait alors déduit, grâce à sa vivacité habituelle, que la bête craignait le foin qui environnait la modeste demeure du fermier. Elle avait donc récolté une grande quantité de paille qu'elle avait positionné sur le roncier pendant que la bête dormait. A son réveil, furieuse, celle-ci avait détruit une partie de la maison du fermier avant de s'enfuir, évitant les touffes de foin placées devant son terrier. Nowi, agacée par son échec, avait payé les réparations -et ses économies, bien maigres déjà, en avaient fortement souffert- puis s'était lancée à la poursuite de cette créature maléfique. Elle l'avait traquée plusieurs jours durant, mais elle avait fini par perdre mystérieusement sa trace.

C'était trois mois après que l'on avait requis ses services pour chasser la même bête. Elle s'était cette fois logée dans les ruines d'une vieille église entourée d'un cimetière, endroit dont les créatures de l'Obscur raffolent, et terrifiait la population de Grimard. Aujourd'hui, Nowi était préparée : elle avait empli un sac entier de paille qu'elle tenait fermement sur sa maigre épaule droite. Dans sa main opposée, elle tenait sa faux, toujours efficace face aux créatures des Ténèbres et ce, quelles que soient les circonstances. Celle-ci lui provenait de son ancien maître, qui lui avait légué avant de mourir, il y avait maintenant quelques années de cela. La jeune femme ne l'avait jamais quitté depuis -sa faux. Celle-ci était de taille respectable (plus grande de quelques centimètres que Nowi, mais elle était elle-même plutôt petite), avait un manche en fer souple, et se recourbait au bout enune lame acérée forgée en mink, un matériau rare qui avait pour propriété d'éloigner les créatures provenant de l'Obscur. Cette précieuse arme avait fidèlement servi l'enseignant de Nowi pendant de longues années à oeuvrer pour le bien, et c'était maintenant son tour d'en faire bon usage.

La jeune femme était plutôt maigrichonne et, vous l'aurez compris, d'une taille située dans la catégorie inférieure de la moyenne. Deux particularités la faisait pourtant se distinguer des autres, qu'elle qualifiait elle-même d' « atrocement normaux ». Nowi aimait l'originalité, la différence, et elle prônait plus que tout la tolérance envers les autres. Elle était également un peu bornée, pas du genre à se laisser impressionner facilement et plutôt habile, notamment de ses mains, qu'elle utilisait comme un atout majeur plutôt que comme ce qu'elles étaient réellement : deux paumes pleines de doigts et effroyablement petites. Tout avait l'air atrophié chez cette jeune femme. Tout, si ce n'était sa belle chevelure, qui constituait selon elle la première marque de sa différence. Elle était rousse. Un roux flamboyant, écarlate et qui lui valait la plupart du temps le rejet des autres... « Enfant du Diable », entendait-elle souvent dans son dos. Bah, peu importait. Il ne fallait pas se laisser atteindre par ce genre de critiques immorales. Ses cheveux, donc. Elle en était fière. Ils symbolisaient son originalité, et elle aimait ça. Ils étaient bouclés et lui descendaient jusqu'en bas des omoplates en une cascade de nuds qu'elle ne prenait jamais le temps de défaire. C'est vrai, quoi, elle avait bien d'autres choses à faire que de s'occuper de cela. Elle se préférait naturelle. Son « naturel » lui avait pourtant valu, à la mort de ses parents -dans des circonstances pour le moins douteuses-, d'être bannie de son village d'origine, les croyances faisant qu'on la prenait pour une sorcière. Nowi avait à présent une vingtaine d'années et se tenait là, dans le cimetière face à l'église en ruines où avait établi son repère une créature maléfique... La deuxième raison de sa distinction était son long manteau noir qui, à défaut d'être agréable à regarder, l'était à porter mais surtout : qui masquait sa crinière de feu aux autres. Il était important de se démarquer, certes, mais pas de se faire haïr de tous au premier regard. C'était...son secret à elle, disons. Son « manteau » était en réalité une cape sombre qui lui tombait jusqu'aux chevilles et dont Nowi prenait tout particulièrement soin malgré qu'elle ne l'appréciait pas particulièrement. C'était tout simplement l'usage de se vêtir ainsi lorsque l'on pratiquait son métier. Ainsi, les gens vous repéraient de loin et avaient de la marge pour s'écarter de votre passage, pour changer de trottoir... La jeune femme se fichait pas mal d'être mise à l'écart par de simples passants qu'elle ne recroiserait sans doute jamais, mais la compagnie lui manquait... La vie n'était pas toujours facile, pour une Traqueuse comme elle.

Fils de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant