Chapitre IV - Le Gobelin de Grimard

114 19 24
                                    

Nowi se retourna. Elle brandissait sa faux à deux mains : l'une tout près de la lame, la seconde à l'autre extrémité. Le Gobelin fût le plus rapide à agir, mais Nowi était bien ancrée sur ses appuis et elle para habilement un violent coup de griffe avant de contre-attaquer en projetant la lame de son arme vers le cœur de son adversaire. La bête fit un pas de côté, trop tard cependant, la lame lui entailla profondément le flanc gauche. Dans un effroyable mugissement, le Gobelin recula de quelques pas et Nowi pût le détailler à la lumière de la lune. Ridiculement petite mais trapue, la bête la fixait de ses deux yeux rouge braise, aussi minuscules que tout le reste de son corps. Un liquide transparent luisait sur ses babines retroussées dévoilant des canines effroyablement pointues, et Nowi l'interpréta comme de la salive. Soudain, le Gobelin hurla de rage et se propulsa sur la jeune Traqueuse pour la mordre. Celle-ci resta paralysée quelques secondes en apercevant les dents de la bête se rapprocher à une allure folle, et cet instant de torpeur faillit lui coûter la vie. Se ressaisissant alors, elle brandit sa faux et la plaça en travers de la gueule du monstre, qui la mordit à pleine dents. Nowi profita de ce que le Gobelin croyait l'avoir mordu -ces choses-là ont une très mauvaise vue- pour sortir de son sac une poignée de paille et pour l'enfoncer fermement dans le trou béant qui servait de bouche à son ennemi. Bingo ! Il avala tout rond les fines tiges et lâcha la faux, puis recula, toussotant, crachotant et surtout chancelant. Nowi faillit alors être trop présomptueuse : pensant avoir gagné le combat, elle avança lentement vers son adversaire pour lui transpercer le cœur. Au dernier moment, le Gobelin roula sur le côté et fonça sur Nowi qui, entraînée dans son élan par la lourde faux, ne pût que s'aplatir violemment sur le sol. C'est alors qu'elle ressenti une vive douleur à l'oreille gauche : la bête l'avait griffée. Nowi lâcha sa faux et porta une main à celle-ci et la regarda ensuite. Elle était couverte de sang. Le Gobelin semblait perdre des forces à vue d'oeil -sans doute à cause de la paille- et jaugeait son adversaire du coin de l'oeil, comme pour savoir si elle était encore en état de se battre. La réponse, il ne l'obtint que trop tard : Nowi s'était redressée et avait récupéré sa faux, tandis que lui était encore presque à terre et essoufflé. Elle lança alors son arme de toutes ses maigres forces vers le Gobelin qui tentait tant bien que mal de se relever également. Trop tard, cependant : la lame transperça la créature d'un bout à l'autre, et celle-ci s'effondra sur le sol dans un râle d'agonie. Nowi sourit : elle avait réussit ! Tout se mit alors à tanguer autour d'elle, et la jeune femme s'évanouit.

    Lorsqu'elle revint à elle, la Traqueuse était toujours allongée dans l'église de Grimard, sur le sol couvert de verdure. Elle avait toujours mal à l'oreille -elle y porta d'ailleurs instinctivement sa main, puis grimaça de douleur-, mais ce n'était rien en comparaison avec la fierté qu'elle ressentait : elle avait vaincu le plus puissant Gobelin de tout Grimard, peut-être même du comté ! Elle se redressa et regarda un instant la bête. Il lui avait donné du fil à retordre ! Elle posa le pied sur le dos de la bête et, d'un coup sec, retira sa faux du petit corps de la créature. Toujours un peu chancelante, elle sortit de l'église et se dirigea vers la ville de Grimard où elle annoncerai sa réussite et quémanderai sa récompense, après quoi elle rentrerai chez elle. Nowi habitait Lundwal, un petit village au creux de deux collines. Le temps y était le plus souvent clément, et elle appréciait et connaissait la plupart de ses habitants. En effet, ils étaient les seuls personnes au monde -à la connaissance de la jeune femme, du moins- à ne fait aucun cas, ni de sa crinière flamboyante ni de son métier, ce qui était fort rare. Nowi descendait à présent la petite bute sur laquelle se trouvait l'église, en dehors de Grimard. Elle put ainsi mieux regarder la ville en question. C'était un endroit portant peu d'intérêt selon elle, plein de maison et de rues pavées et étroites. De plus, le ciel était très nuageux, comme à son habitude en cet hiver des plus rudes, ce qui n'arrangea en rien l'opinion que se fit Nowi de ce lieu. Elle passa la grande muraille qui entourait la ville après que le garde l'ait reconnu et se dirigea vers la maison du prêtre sans détours. Elle n'avait jamais vu l'homme en question, mais s'était déjà dessiné un portrait caricatural de sa personne mentalement. Enfin bon... elle ne ferait que passer en coup de vent, histoire de récupérer sa prime et de rentrer chez elle rapidement, au chaud, dans le creux des collines. La maison était peu accueillante : toute grise -elle avait sans doute été blanche, un jour, mais c'était il y a longtemps déjà-, plutôt sale de l'extérieur, et elle ne possédait aucun trait de personnalité ou de fantaisie qui l'aurait faite se distinguer des autres. Aucun, si ce n'était cette immonde gargouille qui trônait sur le toit et qui semblait l'épier discrètement. Nowi secoua la tête, comme pour en chasser cette horrible impression. Elle saisit alors le loquet et toqua.

Fils de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant