Chapitre V - Drinn le fourbe

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Le prêtre s'assit, et c'est alors que Nowi comprit. Tout, absolument tout, avait été manigancé, et elle avait été manipulée comme une marionnette tout du long. Depuis le début, cette histoire de gobelin avait été orchestrée de façon magistrale par le soi-disant prêtre qui se tenait devant elle, le regard toujours luisant et la bouche tordue en un rictus qui transpirait la satisfaction à grosses gouttes. Lorsqu'il s'était enfin assis, donc, Nowi avait compris pourquoi il ne l'avait pas fait plus tôt : il portait un tatouage sur la cheville droite et, lorsqu'il s'asseyait, sa soutane se relevait de sorte qu'elle laissait la marque apparente. Et cette marque... elle l'aurait reconnue entre mille : un pentagramme inversé au centre duquel trônait un gobelin en tous points similaire à celui que Nowi avait affronté il y avait quelques heures à peine.

- Je suis le mage Drinn, et je dois t'avouer que je ne m'attendais pas à piéger un Traqueur aussi facilement, s'esclaffa-t-il.

Nowi en aurait rougi de honte si elle contrôlait encore ses émotions, mais celles-ci se bousculaient dans la tête de la jeune femme. Qu'elle avait été sotte ! Le déguisement de l'homme qui se trouvait devant elle n'avait rien de parfait, et elle s'en rendait compte maintenant qu'elle s'attardait dessus. Bref, il était trop tard pour s'en vouloir, ce qui était fait était fait, mais Nowi s'en mordait tout de même les doigts, bien entendu.

A présent qu'elle le regardait plus en détail, elle remarquait tout ce qui l'aurait immédiatement alertés si elle n'était pas aussi exténuée et morte de faim. Pour commencer, il était d'une très grande taille et plutôt massif, ce qui n'était généralement pas un trait propre aux prêtres -aux mages, par contre... Ensuite : une fine barbe lui recouvrait le menton, et, bien qu'il devait s'être rasé il y avait peu de temps, il ne semblait pas s'être beaucoup préoccupé des apparences, en effet les prêtres sont toujours imberbes. Plus elle remarquait, plus elle mourait d'envie, d'abord de manger, mais surtout de se coller une gifle -quelle chance qu'elle soit clouée à ce fauteuil, finalement !

La Traqueuse se reprit cependant, et tenta de parler. Seul un râle, un bruit rauque et quasiment inaudible, sortit de sa bouche sèche et pâteuse. Drinn se rapprocha d'elle pour ne plus se trouver qu'à une longueur de doigt de son visage, si bien qu'elle sentait son haleine chaude lui courir sur le visage, asséchant un peu plus ses lèvres encore.

- Inutile de tenter quoi que ce soit, le sort qui te lie à ce siège est bien trop puissant pour qu'une petite personne aussi fragile et frêle que toi s'en libère.

Fragile ? Frêle ? Nowi songea qu'il avait bien de la chance d'avoir pour adversaire une Traqueuse ensorcelée. Si elle ne l'était pas, il aurait sans doute senti un petit poing s'écraser sur son gros nez...

- Au fait, merci pour le Gobelin : il était devenu incontrôlable et commençait à me poser quelques soucis ! Poursuivit-il, sarcastique.

Drinn rit à nouveau, et Nowi jura qu'elle lui rendrait la monnaie de sa pièce, d'une façon ou d'une autre. Soudain, il se leva, saisit la Traqueuse par la taille et la jeta sur son épaule comme si elle ne pesait que quelques grammes -ce qui n'était pas totalement irréaliste. Le mage sortit de la grande salle et emprunta le long couloir en sens inverse, cette fois -toujours aussi mal décoré, constata la jeune femme. Il s'arrêta tout à coup devant un tableau particulièrement grand : celui-ci descendait en effet juste qu'au sol et sa bordure dorée effleurait le tas de poussière qui tapissait le sol de la grande demeure. Niveau entretient, le mage ne semblait pas aussi doué que pour lancer des sortilèges. Nowi ne distinguait pas le prêtre représenté sur le tableau -car ç'en était forcément un : il n'y avait que ça ici, des prêtres, des prêtres et encore des prêtres. Dieu, quel cauchemar ! En revanche, elle remarqua fort bien la porte dissimulée dans cette peinture.

Drinn descendit plusieurs marches qui semblèrent à la jeune femme s'étendre sur des kilomètres. Il fallait dire que l'os de l'épaule du mage était très pointu, et qu'il s'enfonçait douloureusement dans son abdomen. Finalement, Drinn s'arrêta devant une cellule fermée par des barreaux d'argents -qui avaient l'air bigrement solides. Il décrocha une clef d'un collier autour de son cou et l'enfonça dans la serrure de la geôle. La porte résista un instant, puis, dans un crissement sinistre, s'ouvrit en grand. Nowi fût violemment projetée à l'intérieur de cet habitat provisoire et, autant à cause de la fatigue que de la douleur, s'évanouit.

La Traqueuse se réveilla lorsqu'un bruit métallique se fit percevoir à répétition. Ouvrant les yeux, elle remarqua que cette mélodie peu harmonieuse provenait d'une louche que Drinn frappait contre les barreaux avec violence. Nowi jugea l'ustensile d'un coup d'oeil : pas moyen d'assommer le mage avec ça. Elle ne parviendrait au mieux qu'à le mettre en rogne, et il ne semblait déjà pas d'une humeur rayonnante.

Drinn glissa un bol en pierre empli d'une substance liquide et nauséabonde par une fente dans la porte prévue à cet effet. Celui que provoqua la mixture sur Nowi -d'effet- fût immédiat : elle s'en détourna d'un air dégoûté et regarda autour d'elle. La pièce était sombre et des toiles d'araignées se logeaient dans les différents recoins mal éclairés. Une ouverture dans le mur opposé à la porte, grande comme une tête humaine -et encore, une petite-, servait à éclairer tant bien que mal la pièce.

Tournant la tête sur sa droite, Nowi se rendit compte que l'endroit était bien plus grand qu'elle ne l'avait d'abord cru. Entendant les pas du mage ainsi que son rire moqueur s'éloigner dans l'escalier, la jeune femme décida d'explorer l'autre partie de la prison. Celle-ci était en tous points semblable à la première, ce qui déçut légèrement la Traqueuse. Une sensation étrange la poussa alors à regarder vers le coin le plus sombre de cette nouvelle partie de cellule. Des chaînes étaient accrochées au mur, et un corps était lié à elles par des menottes solides.

Drinn n'étant pas passé pour lui donner de quoi se sustenter, Nowi en conclut que l'homme -car c'en était un- était mort. A en juger par ses vêtements très simples et légers, Nowi comprit qu'elle se tenait face au vrai prêtre auquel Drinn avait volé l'accoutrement. Bien que n'aimant pas ces hommes-là, la jeune femme se surprit à éprouver de la compassion : même eux ne méritaient pas de mourir ainsi. Encore fatiguée et éprouvée par les rudes journées qu'elles venait de vivre, Nowi s'endormit.

Elle avait perdu toute notion du temps mais pensa s'être endormie quelques heures car la lumière du dehors n'était que très faible -encore plus qu'avant-, et que la lune semblait briller derrière un rideau de nuage. C'est lorsqu'elle regagna sa partie de cellule qu'elle buta contre un objet métallique, sûrement un sceau -et rempli d'eau, car Nowi se sentit soudain humide. L'objet en question alla rebondir contre les barreaux et provoqua dans toute la demeure un boucan effroyable. Au-dessus de sa tête, Nowi perçut clairement un grognement, et des bruits de bottes. Des bruits de bottes qui se rapprochaient bien trop rapidement à son goût... « merde ».

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Le chapitre suivant est déjà disponible...
N'hésitez pas à me faire des remarques à propos de chaque partie, et de les commenter/liker/tout le tralala. Je suis ouvert aux critiques tant qu'elles sont constructives. Je compte publier un chapitre de cette histoire tous les trois jours environ, alors soyez au rendez-vous vous pour le prochain ;) Je vous avertirai de sa progression juste ici, en modifiant la date si empêchement (ou progression fulgurante, sait-on jamais ;)) Bonne lecture à tous ^^

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