La vraie vie

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Mes sept dernières années de scolarité avaient été un prélude à ce moment.

— Carte d'identité. Carte d'accès. Permis de stationnement.

Jacqueline Desormeaux me distribuait une à une ces cartes qui feraient officiellement de moi une employée de l'hôpital de Pointe-aux-Noyers. Une urgentologue en fonction. Ses ongles peints en rouge glissaient habilement d'une feuille à l'autre pour s'assurer que mon arrivée se fasse dans les règles.

— Vous pouvez maintenant vous rendre aux urgences, m'enjoignit-elle après m'avoir remis un carton jaune sur lequel était imprimé le plan de l'hôpital. Vous êtes jumelée au Dr Sanscartier pour la journée. Son bureau est le C-025.

— Merci pour tout.

— Fermez la porte en sortant, me pressa-t-elle, sourde à mes remerciements.

Je quittai les bureaux des ressources humaines, excitée comme une enfant au matin de Noël. Toutes les heures que j'avais passées la tête dans les bouquins de médecine, je l'avais fait pour vivre cet instant.

En m'aidant du plan de l'hôpital, je me rendis aux urgences. Chemin faisant, j'enfilai mon sarrau par-dessus ma robe prune et accrochai ma carte d'identité et ma carte magnétique à une poche. Je plaçai mon stéthoscope autour de mon cou dans un geste devenu habituel. Je l'avais acheté lors de ma première semaine à l'université en tant qu'étudiante en médecine. Le stéthoscope d'un étudiant en médecine, c'était un peu comme son enfant ; on en était fier et on ne manquait pas une occasion de l'exhiber. C'était un peu la même chose une fois qu'on avait gradué.

Je cognai à la porte C-025, mais n'obtint pas de réponse. Un peu normal, si ce Dr Sanscartier était urgentologue. Ce n'était pas le type de médecine qui vous laissait le temps de siroter un café dans votre bureau. Je continuai mon chemin jusqu'à l'urgence et fus vite happée par le tourbillon de folie qui y régnait. Là, tous les employés n'avaient qu'une vitesse de déplacement, la vitesse « c'est-une-question-de-vie-ou-de-mort ».

— Excusez-moi, arrêtai-je une infirmière. Pouvez-vous me dire où se trouve Dr Sanscartier?

— La dernière fois que je l'ai vu, il était dans la salle 4 avec un patient.

— Merci.

Elle me dévisagea avec curiosité.

— Je suis Dre Leblanc, la nouvelle urgentologue. Comment vous appelez-vous?

— Christina, je suis infirmière. Bienvenue parmi nous, m'accueillit-elle gentiment.

Elle me quitta avec un signe de tête et je pris la direction de la salle 4.

Jetant un coup d'œil par la petite fenêtre de la porte, je vis un médecin aux cheveux grisonnants en train d'utiliser un défibrillateur sur son patient. Hum. Pas le moment rêvé pour faire les présentations.

— Docteure. Docteure!

Accaparée par la procédure de réanimation qui se déroulait de l'autre côté de la vitre, je réalisai avec un temps de retard qu'on m'interpellait.

— Désolé, je ne connais pas votre nom. Vous êtes médecin?

Je me tournai vers le jeune infirmier essoufflé qui se tenait devant moi.

— Oui, je suis nouv...

— Nous venons d'installer en salle douze un patient qui fait un choc anaphylactique, me coupa-t-il.

Les présentations et la bienséance allèrent se terrer dans un coin de mon cerveau et le médecin en moi prit le dessus.

— Il a reçu de l'adrénaline? m'enquis-je en lui emboîtant aussitôt le pas.

Life is short, babyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant