Tout ce qui est susceptible de mal tourner

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Le deuxième quart de travail de nuit était toujours le pire.

Parce qu'on n'avait pas de rideaux à sa fenêtre et que l'on avait à peine dormi quatre heures. Parce que nos patients mouraient les uns après les autres.

Oui, bon, peut-être n'était-ce qu'à moi que ce genre de chose arrivait. Peut-être étais-je la seule idiote qui n'avait toujours pas pris le temps de s'acheter des rideaux deux mois après avoir emménagé dans son nouveau chez soi. Peut-être étais-je le seul médecin incapable de sauver ses patients.

— Insuffisance rénale sévère, insuffisance cardiaque, détresse respiratoire...

Je levai la main pour interrompre l'infirmière qui débitait sa liste funeste.

La sueur perlait à mon front pendant que je m'acharnais à sauver la vieille femme sur le lit. Il n'y avait rien que je puisse faire. Cette dame nous avait été emmenée trop tard. Tout lâchait, de tous les côtés, et je ne pouvais pas colmater un trou sans que trois autres apparaissent. J'avais l'impression que quelqu'un avait tiré le morceau de bois qui faisait s'écrouler toute la tour à Jenga. Certaines personnes mouraient si vite que c'en était effrayant.

« Battez-vous! » avais-je envie de crier.

Lorsque le cœur lâcha, j'entamai les procédures de réanimation. Cette femme voulait vivre. Elle voulait tous les soins jugés pertinents pour elle, et elle voulait qu'on la réanime si cela était nécessaire. Je devais la sauver.

— Dre Leblanc, je pense qu'elle est morte, tenta timidement l'infirmière à mon côté.

Je marmonnai quelques propos inintelligibles et tentai une fois de plus de repartir le cœur. La plate tonalité provenant du moniteur cardiaque m'informait que mes efforts étaient inutiles. Je l'avais perdue.

C'était la première fois qu'un des patients qui m'étaient confié mourait. Quand j'étais en stage et que la vie d'une personne ne tenait qu'à un fil, c'était toujours mon superviseur qui s'en occupait, et moi je restais tout près pour lui donner les instruments dont il avait besoin. Je ne m'étais jamais sentie responsable de la mort de quelqu'un avant aujourd'hui.

— Elle est morte, constatai-je platement.

J'allais devoir annoncer le décès à ses deux enfants qui attendaient dans la salle d'attente. Je ne l'avais jamais fait auparavant, sauf avec des acteurs.

— Je vais l'extuber et aller chercher les enfants de madame pour qu'ils la voient une dernière fois, informai-je l'infirmière. Pouvez-vous repasser un peu plus tard pour l'emmener à la morgue?

L'infirmière acquiesça et s'éclipsa de la pièce. Je m'assurai que la défunte soit débarrassée de tous ses tubes et remontai son drap jusque sous son menton. Je me rendis dans la salle d'attente en m'efforçant de composer une expression compatissante sur mon visage las.

— Monsieur et madame Laflèche?

Le frère et la sœur d'une cinquantaine d'années se levèrent, l'air à la fois angoissé et plein d'un espoir que j'allais réduire à néant.

— Je suis Dre Leblanc, me présentai-je en leur serrant la main. C'est moi qui me suis occupée de votre mère. Si vous voulez bien me suivre, nous serons plus à l'aise pour discuter dans mon bureau.

Les enfants de la défunte échangèrent un coup d'œil avant de m'emboîter le pas.

— Comment va-t-elle? s'enquit la femme alors que je les faisais entrer dans mon bureau.

Je les invitai à s'asseoir en cherchant mes mots.

-Votre mère souffrait de sévères complications de son diabète, commençai-je en prenant place face à eux. Ses organes vitaux étaient en train de lui lâcher un à un lorsqu'elle est arrivée à l'hôpital. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour la sauver, mais elle est décédée il y a quelques minutes.

Life is short, babyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant