Ma mère tourna brusquement la page du catalogue de fleurs qu'elle tenait sur ses genoux. Elle poussa un soupir théâtral qui fit voleter une mèche de ses cheveux.
— Qu'y a-t-il? m'enquis-je en m'approchant d'elle avec la théière fumante.
— Je n'arrive pas à choisir la couleur des fleurs qui vont orner le cercueil. Je ne sais pas ce que Maurice aurait préféré entre les fleurs blanches ou les jaune pâle. Crois-tu qu'il aurait voulu des roses dans la composition florale?
— Honnêtement, papa s'en ficherait. Il t'aurait dit de choisir ce que toi tu préfères, répondis-je doucement en lui prenant sa tasse des mains pour lui resservir du thé.
— Tu as raison. Il n'aimait même pas les fleurs, rétorqua-t-elle d'une voix tremblante.
— Tu penses qu'on peut commander un bouquet de tranches de bacon? plaisantai-je au prix d'un effort colossal.
Je fus récompensée par le rire fragile de ma mère.
— Le monsieur du salon funéraire ne serait pas d'accord.
La simple mention de cet homme me mit aussitôt de mauvais poil.
— Le monsieur du salon funéraire peut bien aller voir ailleurs si j'y suis, rétorquai-je irritée.
— Cocotte, me réprimanda ma mère en haussant les sourcils devant la virulence de mes propos.
— C'est vrai, il n'a pas arrêté de te harceler depuis lundi pour planifier les arrangements funéraires. Tous les jours. À n'importe quelle heure.
— Tu exagères. C'est son travail, articula lentement ma mère comme si elle essayer de raisonner une enfant récalcitrante. Je sais que tu es en colère, Cordélia, mais tu diriges ta colère vers la mauvaise personne, ajouta-t-elle en me caressant doucement le dos de la main.
J'éloignai légèrement ma main de la sienne et entendis ma mère pousser un petit soupir. Je saisis ma propre tasse de thé pour la remplir à nouveau, puis je me mis à faire les cent pas dans la pièce. Depuis trois jours, ce n'était que ma mère, la théière et moi. Je l'aidais à préparer les funérailles de mon père, et j'avais découvert que mourir était compliqué. Il fallait planifier le moindre détail des funérailles, du paysage imprimé sur le signet funéraire au buffet d'après-funérailles, en passant par l'habit dans lequel mon père allait être enterré. Honnêtement, je n'en pouvais plus. Je n'en pouvais plus de lire des citations mièvres sur la mort, de sélectionner des compositions florales hors de prix et surtout, de sentir l'odeur de mon père partout chez mes parents alors qu'il n'était nulle part.
— Je n'aurais pas dû te demander ton aide pour préparer les funérailles de ton père, lâcha alors ma mère d'une voix pleine de regrets. Je t'ai mis un trop gros poids sur les épaules. On ne devrait pas avoir à faire cela quand on a 26 ans. Pardonne-moi, Cocotte.
Je sentis mon cœur se fendre en voyant son air désolé.
— Oh, maman, soufflai-je en m'asseyant près d'elle. Ne t'excuse pas. Je suis heureuse de t'aider, mais je trouve ça si difficile. Comment fais-tu, toi?
— Tu penses que je ne trouve pas ça difficile, Cordélia? Tu penses que je ne pleure pas et que je ne suis pas en colère contre la vie de nous avoir enlevé ton père? Chaque matin, quand je me réveille seule dans mon lit et que Maurice n'est pas là, je ressens une telle souffrance que j'ai l'impression que je vais étouffer. J'ai envie de rester là et de devenir une statue de pierre. Mais je me lève quand même, pour toi et pour ta sœur, parce que vous êtes ce que j'ai de plus précieux.
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Life is short, baby
RomanceLorsque Cordélia devient urgentiste à l'hôpital de Pointe-aux-Noyers après sept ans d'études acharnées, elle croit avoir atteint son objectif de vie ultime. Elle adore la médecine d'urgence, mais entre les quarts de travail de nuit, son père qui tom...