Être forte

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J'eus l'impression de perdre pied. C'était l'odeur de mon père. C'était... c'était son visage. C'était lui.

Je sentis une main se poser entre mes omoplates.

— Je m'en charge, me dit Dr Norrington d'une voix basse.

Dr Sanscartier arriva à cet instant.

— C'est mon père, m'entendis-je prononcer tout haut, et ma voix se brisa.

Mon patron me fourra une tasse de café chaud entre les mains et je m'y accrochai comme à une bouée en pleine mer. Dr Sanscartier considéra mon père sur la civière d'un air grave.

— On s'occupe de votre papa, Cordélia. Vous en avez assez fait pour aujourd'hui.

C'était la première fois qu'un de mes collègues m'appelait spontanément par mon prénom et cela me donna envie de pleurer. C'était tellement plus intime que de se faire appeler « Dre Leblanc ».

— Allez dans la salle d'attente. Je vais venir vous voir tout à l'heure.

Dr Sanscartier et Dr Norrington partirent avec mon père.

J'allai me réfugier dans mon bureau une minute. Le stress, la culpabilité et la fatigue de la nuit passée me tombèrent dessus comme un seau d'eau glacée et je me mis à pleurer, pleurer, pleurer. Je ne pouvais pas m'en empêcher. Comment était-ce possible que mon père soit victime d'un AVC? Je ne l'avais jamais imaginé malade. Je n'avais pas réalisé qu'il vieillissait.

Me rappelant que ma mère était dans la salle d'attente, je séchai mes larmes, ingurgitai mon café brûlant sans le goûter et partis la rejoindre. Elle était assise sur une chaise, les épaules voûtées, ses cheveux auburn en bataille. Entre ses mains, elle tenait un chapelet que j'ignorais qu'elle possédait et marmonnait de façon décousue. La voir ainsi me fit mal au cœur. Elle avait l'air d'avoir vieilli de 10 ans en une nuit.

Je me raclai la gorge.

— Maman.

— Cocotte! s'exclama-t-elle en bondissant pour me prendre dans ses bras. Il ne va pas mourir, hein? Dis-moi que Maurice ne va pas mourir.

Ses doigts s'enfonçaient douloureusement dans mes bras. Elle me regardait comme si je possédais la réponse à tout, comme si j'étais le salut qu'elle attendait.

Pauvre petite maman. Elle qui m'avait toujours offert le refuge de ses bras pour que je puisse pleurer et quêter du réconfort, c'était maintenant à mon tour de lui offrir les miens. Pour elle, je devais être forte. Il venait un temps où il fallait rendre ce que l'on avait reçu.

— Je ne pense pas, répondis-je en tâchant de maîtriser ma voix. Mais je n'en sais rien. C'est mon patron qui s'occupe de lui. Il va venir nous voir tout à l'heure.

J'encourageai ma mère à s'asseoir et pris place à côté d'elle en lui prenant la main.

— Que s'est-il passé maman?

Ma mère rangea son chapelet dans sa sacoche et se mit à me caresser machinalement la main, le regard vitreux.

— Ton père s'est levé à 6h, comme d'habitude. Tu sais, je n'ai jamais compris son désir de se lever si tôt. Je pensais que cette lubie lui passerait une fois à la retraite, mais non, il n'y déroge pas. J'ai toujours dit que cette habitude allait finir par le rendre malade. Ça ne peut pas être sain de se lever avant l'aube.

— Que s'est-il passé ensuite? l'interrogeai-je en me retenant de ne pas la secouer comme un prunier pour lui extirper des réponses.

— Il est venu me réveiller. Il avait le visage engourdi, et le bras aussi. Et puis, il s'est mis à parler difficilement. Ce qu'il disait ne faisait aucun sens. J'étais terriblement inquiète, Cocotte. Je ne savais pas quoi faire, alors j'ai appelé une ambulance. J'avais peur qu'il ne fasse une crise cardiaque.

Life is short, babyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant