Les vieux mariés

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Cela faisait une heure que James et moi étions arrivés chez ma soeur et je regrettais déjà de ne pas avoir forcé mon collègue à rester chez lui. Astrid multipliait les sous-entendus bien lourds depuis notre arrivée, ma mère s'assurait à chaque trois minutes que James ne manquait de rien, et mon père me glissait un clin d'oeil chaque fois qu'il passait près de nous. Ambiance géniale.

Rapidement, James était devenu la coqueluche de la soirée. Parmi les invités de ma soeur, plusieurs avaient témoigné un vif intérêt à son endroit lorsqu'ils avaient appris qu'il était médecin. Ils avaient formé un petit cercle autour de lui afin d'obtenir des réponses à leurs problèmes médicaux.

Qu'avaient-ils fait en apprenant que j'étais médecin moi aussi? Absolument rien. L'information n'avait pas semblé se rendre à leur cerveau. Je n'avais pas l'air assez crédible ou quoi? En même temps, je pouvais les comprendre de solliciter l'avis de James. Celui-ci pouvait se montrer très charmant quand il le voulait. Il s'exprimait avec assurance et écoutait avec tellement d'attention qu'il donnait l'impression à son interlocuteur que rien au monde n'importait plus que ce qu'il disait à cet instant. Et puis, il était beau. Qui n'avait pas envie de faire palper ses ganglions par cet homme? Si quêter une consultation auprès de lui me donnait l'occasion d'avoir ses mains sur mon corps, je n'hésiterais pas une seule seconde moi non plus.

Je m'éclipsai vers le salon pendant que James diagnostiquait un simple rhume à une amie de ma soeur qui en faisait un peu trop – non, ma chérie, tes ganglions enflés ne t'étoufferont pas dans ton sommeil. De jolies décorations bleues et blanches ornaient les murs et des photos d'Astrid et de Jean-Baptiste lorsqu'ils étaient bébé avaient été accrochées à une corde. Les paris étaient ouverts : à qui ressemblerait le nouveau-né?

Je souris lorsque mon regard se posa sur une photo de mon père tenant fièrement dans ses bras sa première fille. Ça me faisait drôle de le voir si jeune, avec les cheveux bruns et aucune ride au coin des yeux.

— Hé bien, ça ne me rajeunit pas, lâcha mon père en regardant par-dessus mon épaule. À cet âge-là, on a l'impression qu'on ne va jamais vieillir.

Il observa le cliché quelques instants, perdu dans ses souvenirs, avant de me tendre une des deux bouteilles de bière qu'il avait apportées.

— À ta santé, ma petite Cocotte, dit-il en cognant sa bouteille contre la mienne.

— À ta santé, mon petit papa, rétorquai-je avec un sourire avant de prendre une gorgée.

C'était ma deuxième bière de la soirée, et comme je n'avais pas mangé beaucoup, l'alcool commençait déjà à me réchauffer les joues. Astrid m'avait fait les gros yeux lorsque j'avais choisi de boire de la bière plutôt que le punch sans alcool qu'elle avait fait et dans lequel elle avait mis du colorant bleu et des paillettes comestibles. Les guirlandes bleues et le gâteau décoré de hochets en pâte d'amandes, ça passait encore. Mais ce jus de licorne? C'était trop. Et puis, James avait insisté pour conduire au retour, me permettant ainsi de boire ma bière en paix pendant qu'il sirotait l'infâme boisson turquoise, au grand plaisir d'Astrid. Pouvait-il être plus parfait?

— Alors, quand est-ce que ce sera ton tour? demanda mon père.

— Mon tour?

— De me faire des petits-enfants.

La gorgée de bière que je venais de prendre me sortit par les narines de façon fort désagréable. Mon père s'esclaffa.

— La chair de ma chair qui ne sait pas boire, quelle honte!

— Si tu ne me posais pas de telles questions, aussi! pestai-je entre deux quintes de toux. Je ne suis pas rendue là dans ma vie, d'accord?

— D'accord, d'accord, tempéra mon père avec un sourire en coin. Et le médecin? ajouta-t-il après un moment de silence.

Life is short, babyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant