Proposition

9.6K 879 177
                                        

Évidemment, il avait fallu que je lise les manchettes des journaux et chaque article concernant ma patiente décédée.

Résultat, je me retrouvai en boule sur le fauteuil de mes parents à boire compulsivement du thé préparé par ma mère. Toujours mieux que de la vodka, me direz-vous.

Ça m'écorchait le cerveau de le penser, mais j'aurais dû écouter Dr Norrington. Je venais à peine de commencer à exercer mon métier et déjà, mon nom était traîné dans la boue. Certains journalistes étaient plus nuancés dans leur propos, mais d'autres m'accusaient carrément de négligence criminelle. Et évidemment, personne ne mentionnait le fait que j'avais réussi un accouchement de jumeaux environ 48h plus tôt.

— Dre Leblanc a failli à la mission première d'un médecin, lus-je à haute voix, celle de sauver des vies. A-t-elle déjà oublié avoir prêté le serment d'Hippocrate lors de sa diplomation? Serment dont la deuxième phrase est, rappelons-le, « Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé ».

Je fis disparaître l'article de mon écran sans en terminer la lecture et balançai mon téléphone contre un coussin.

— C'est marrant, ils ont oublié la partie du serment qui dit que le médecin doit respecter les convictions de ses patients, fulminai-je avant terminer ma tasse de thé.

Ma mère s'empressa de la remplir de nouveau.

— Si tu veux mon avis, lâcha mon père entre deux bouchées de compote de pommes (que je lui avais apportée, bien sûr), les auteurs de ces articles se fichent bien de savoir ce qui est bien ou mal dans cette histoire. S'ils peuvent obtenir plus de lecteurs en te faisant passer pour la méchante du récit, ils n'hésiteront pas. Ce n'est pas contre toi, Cocotte.

Je poussai un soupir frustré devant la froide logique de mon père.

— Vas-tu perdre ton permis de pratique? s'enquit nerveusement ma mère.

— Bien sûr que non, rétorqua mon père en balayant les inquiétudes de sa femme d'un geste de la main. Il faudrait être sacrément décérébré pour faire une telle chose.

Mon père grattait avec sa cuillère le fond de son bol vide. Ma mère et moi sirotions notre thé en silence.

— J'ai encore faim, lâcha mon paternel au bout d'un moment.

— J'ai aussi emmené de la compote à la pêche, dis-je en me levant aussitôt. Je vais aller te la chercher.

Je fis mine de ne pas avoir entendu le soupir de mon père et allai récupérer la compote dans mon sac.

— Cocotte, ton téléphone sonne! lança ma mère depuis le salon.

Je revins dans la pièce à pas pressés et récupérai mon cellulaire sur le fauteuil.

— C'est Astrid, constatai-je en jetant un coup d'œil à l'afficheur. Allô?

— Cordélia! s'exclama ma sœur. Dis-moi que tu n'es pas cette Dre Leblanc dont ils parlent dans les journaux?

— C'est bien moi. Tu veux un autographe?

— Mais Cocotte, que s'est-il passé?

— Une patiente a perdu beaucoup de sang, elle a refusé d'être transfusée, elle est décédée, et maintenant j'attends que les foudres de Zeus s'abattent sur moi, débitai-je laconiquement.

— Ce n'est pas drôle, Cordélia, me morigéna ma sœur.

— J'ai l'air de trouver ça drôle? rétorquai-je en haussant un sourcil qu'elle ne pouvait pas voir.

Life is short, babyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant