Chapitre 1

93 8 3
                                    



Dévasté

'Elle n'a vraiment rien compris, cette...'

Thomas frappa le centre du volant de la Peugeot d'un poing rageur, incapable néanmoins d'insulter sa petite amie, même en pensées... Petite amie ? Non ! Ex petite amie ! Puisque, après avoir fait une scène, elle avait déclaré vouloir rompre, déballant tout ce qu'elle avait sur le cœur. Cash ! Sans détour... Il s'était tout pris dans la tronche. Tout ! Elle le trouvait égocentrique, obsédé par sa future carrière, allant jusqu'à lui reprocher son manque d'investissement dans leur couple, ou à elle ! Elle ! Toujours elle ! Pourquoi cracher son venin maintenant ?! Alors qu'il était au plus mal ! Oubliait-elle qu'il faisait tout ça pour elle ?! Pour leur avenir ! Elle ne comprenait décidément rien. Non, elle ne se rendait pas compte. Il se démenait, s'acharnait pour réussir. Et elle ! Ce qu'elle déplorait... C'était quoi ? Qu'il ne pensait pas assez à elle ?! Qu'il ne lui accordait pas assez de place dans sa vie !

Tout ce temps gâché, passé auprès d'elle, était du temps en moins consacré à ses études de Droit, et à leur réussite. Oui ! Leur réussite ! Parce qu'il se voyait déjà plaider des affaires médiatisées, et rentrer, le soir, dans cette grande maison où il la retrouverait, elle... elle et leurs enfants.

Mais pour cela, travailler dur était indispensable ! Et ça, elle ne le comprenait pas !

Tous ces reproches ! Il en avait eu assez et avait fait ses cartons dans la foulée. Ce qu'il restait de ses affaires, elle pouvait bien les brûler ! Il n'en avait que faire. L'essentiel était de ne plus la revoir.

Où aller ? Aucune idée ! Thomas improviserait, tout en sachant qu'il finirait chez ses parents qui allaient sûrement le presser de questions. Cette simple idée le fatigua. Il poussa un profond soupir pour évacuer le stress et la colère et passa une main nerveuse dans ses mèches brunes. Se calmer pour prendre la route était sa priorité, car il se connaissait : impulsif, les nerfs à vif, tout aurait été prétexte aux excès.

Pourquoi ne pas débarquer chez Julien ou Baptiste ? Autant finir bourré chez un pote que de se justifier auprès de ses parents !

Il prit son téléphone, chercha le numéro de Baptiste et appuya sur la touche « appel ». Une sonnerie. Une deuxième... Puis la messagerie. Thomas raccrocha. Pas besoin de laisser de message, Don Juan devait être occupé à autre chose. Le jeune homme sourit amèrement. Pour certains, la vie amoureux était moins compliquée et se résumait à des flirts sans lendemain. Thomas fit défiler ses contacts et appela Julien. Celui-ci fut plus prompt à répondre.

- Hé ! Mec... Qu'est-ce qui t'amène ?

- Salut, Julien... Dis-moi. Je suis en galère. Je peux venir crécher chez toi, ce soir ?

- Qu'est-ce qu'y t'arrive ? Manon t'as mis dehors ?

Au bout du fil, l'autre ricanait.

- Justement...

- Oh ! Merde.

- Alors ?

Thomas bouillonnait.

- Pas de problème. Tu l'sais bien.

- OK, c'est cool ! Je suis là dans cinq minutes.

Thomas raccrocha et mit le contact. La voiture démarra, avec un petit toussotement de réprobation, comme la quinte d'une vieille fumeuse enrouée, et il embraya. Première enclenchée, la 206 avança. 'Tant qu'elle roule...' se disait-il. Impensable d'en racheter une. De toute façon, il n'avait plus les moyens. Ses études en Masters 2 de Droit avaient été avortées... Et voilà qu'il devait repasser le second semestre. Ses projets volaient en éclats. Tous ces sacrifices balayaient par le temps passé à des futilités ! Il enrageait. Le visage de Manon lui revint à l'esprit. Ainsi que ses paroles assassines... Nouveau coup au cœur. Son égo avait pris cher. Il serra les mâchoires et appuya sur la pédale d'accélération. La voiture bondit en avant, non sans protester et lâcher un brouillon noirâtre derrière elle. Thomas passa la quatrième et écrasa un peu plus l'accélérateur, lancé dans les rues, désertes à cette heure-ci de l'après-midi. Balloté dans l'habitacle, il se laissa griser par la vitesse toute relative de la petite auto. Virage à gauche. Petits cahots. La Peugeot sautait et accrochait pourtant la route. Thomas sourit. Jamais il n'aurait pu avoir une telle conduite avec Manon. Il l'imagina, agrippée à la poignée de la porte, les muscles de ses biceps tendus, et son regard noir rivé sur lui. Un rictus amer se dessina sur ses lèvres. Il rétrograda, grilla un feu passé à l'orange et vira à droite, avec un passage au rapport supérieur. La 206 se balança pour rétablir sa trajectoire et continua sa course folle sur le bitume.

L'arrivée chez Julien fut trop rapide au goût de Tom. Une heure de plus à conduire, pour se vider la tête et ne plus penser à rien, aurait été bien venu. Il espérait seulement que son pote ne lui pose pas trop de questions sur sa dispute avec Manon. Il couperait court de toute façon.

Il se gara et sortit de la voiture pour aller sonner à l'interphone. Un bip déclencha l'ouverture de la porte automatique, Thomas tira la porte et entra dans le bâtiment un peu vieillot du CROUS. 'Il serait temps que cette résidence soit rénovée !'

Julien avait une chambre étudiante au troisième étage. Sans ascenseur. Thomas gravit les degrés, quatre à quatre, et parvint au niveau trois. Sur le palier, il lui fallut deux secondes pour reprendre son souffle, puis, après un pas en avant, un vertige l'assaillit. Il s'arrêta, une main appuyée contre le mur au crépi usé. Des étoiles dansaient devant ses yeux. Que lui arrivait-il ? L'anxiété qui remontait ? Son état d'énervement mêlé à l'effort qu'il venait de fournir ? En réponse à ses questions, son crâne fut envahi de violentes pulsations. Argh ! Il porta une main tremblante à sa tempe gauche. Le sang battait la veine sous ses doigts glacés. Une de ses paupières tressauta, palpitant du même feu. Il ferma les yeux avec force, se concentrant sur sa respiration pour atténuer les coups de burin, tambourinant à un rythme infernal dans sa tête. BAM BAM ! BAM BAM ! Fébrile, il inspira profondément. Puis expira tout aussi lentement. À chaque bouffée d'oxygène, son cœur semblait se calmer, et avec lui, les martèlements douloureux. Thomas déglutit, enfin soulagé, et poursuivit sa marche vers le T1 de Julien. Une fois devant la porte, il toqua et n'attendit pas longtemps avant que son ami ne vienne lui ouvrir. 'Faut dire qu'il y a qu'un pas entre le lit et l'entrée !' Julien apparut dans l'ouverture de la pièce exiguë.

- Salut !... T'as l'air sacrément fatigué.

Jul esquissa un sourire, vite effacé devant le regard noir de Tom, et il s'écarta de l'embrasure de la porte pour le laisser passer. Thomas traversa le coin cuisine en deux enjambées et s'arrêta. La vue du clic-clac ne l'enchanta guère et l'idée de partager ce lit d'appoint avec son ami encore moins. Tant pis ! Faute de mieux. Et il s'avachit sur le matelas, les bras ballants entre ses cuisses.

- Qu'est-ce qu'y te met dans des états pareils ?!

- Manon m'a largué.

- Tu rigoles ?!...

- Non, c'est sérieux ! J'ai presque toutes mes affaires dans le coffre de ma bagnole.

- Ah ! C'est qu'une dispute. D'ici peu, vous serez à nouveau ensemble.

- Cette année, c'est mal barré pour moi !

- Un redoublement... C'est pas catastrophique... ça te permet même de prendre de l'avance !

- Tu vas pas t'y mettre, toi aussi ! J'ai pas besoin de ça.

Thomas s'était levé. Si brusquement, qu'il en eut le vertige.

- T'as pas l'air bien, mec.

Tom se rassit et posa son crâne dans ses mains, coudes sur les genoux.

- Je sais pas ce que j'ai... Avec la contrariété, j'ai pas mangé ce midi. Mais là, je crois que mon métabolisme me l'fait payer.

- Des pizzas ? Ça te dit ?

- Ouais ! opina-t-il avec un coup d'œil à sa montre. Oh, merde ! Il est déjà 17h50.

- OK. Je reviens.

Jul s'éloigna, prit sa veste et sortit.

Thomas promena son regard dans la pièce puis s'attarda sur la porte que son ami venait de refermer. Sûr que Julien le trouvait pathétique. Comme Manon ! 'Elle s'était tirée à la première difficulté ! Pourquoi s'encombrer d'une fille cupide, intéressée par la perspective d'une vie facile ?!' Elle n'en valait pas la peine.

Il soupira et s'enfonça dans le clic-clac qui l'engloutit. Durant les dernières semaines, sa vie était partie en cacahuète. 'Espérons que ça se tasse !'




L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant