Chapitre 10

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Agathe

Il sourit et salua la jeune femme alors qu'elle avançait vers sa chambre, puis il entra dans son propre logement et en ferma la porte. Lentement. Avec un sentiment étouffé de frustration. De perplexité. La spontanéité déconcertante de cette fille– Agathe, maintenant qu'il connaissait son prénom, il pouvait la nommer –était en totale contradiction avec sa propre personnalité, et ça le rendait dingue. Alors que lui-même était tout en retenue, elle était l'exubérance. Ce trait de caractère avait le don de l'agacer mais aussi de le charmer. À tel point qu'il regrettait son manque de sang-froid. Qu'est-ce qu'il pouvait être nul, parfois ?! Mais son obsession de vouloir tout contrôler, jusqu'à cadenasser ses sentiments, cette obsession avait pris le dessus et l'avait submergé, explosant comme à chaque fois qu'il se sentait acculé, pris au dépourvu. L'imprévu le mettait toujours en situation d'inconfort : voilà pourquoi il détestait faire la conversion. Et c'était peu de le dire ! Il avait peur de se laisser aller, de lâcher prise. Peur d'en dire trop lorsqu'un silence gênant s'installait, et que les évènements ne lui échappent. Alors il pesait ses mots, ses réactions. C'est pour cela qu'il avait choisi le métier d'avocat : discours verrouillés, arguments et contre-attaques préparés.

Tom avança vers la cuisine, jeta la clé dans le vide-poche trônant sur le plan de travail et secoua la tête. Idiot ! L'attente de revoir cette fille avait été si frustrante qu'il s'était énervé pour ne pas être venu plus tôt. Était-il si peu doué pour les relations humaines ? Par chance, l'entrain communicatif de la jeune femme l'avait détournait de sa mauvaise humeur. Et il s'était laissé prendre au jeu. Car, au fond, il n'était pas foncièrement méchant. Juste con, psychorigide... et timide. Comment dire à cette fille qu'elle le troublait ? Il la trouvait pourtant jolie. Et c'était peut-être là le problème... Sa distance, sa froideur était de la timidité extrême. La présence de cette jeune femme agissait comme une réplique d'un tremblement de terre, dans sa vie déjà dévastée par un récent séisme. Il voulait se reconstruire et surtout ne pas se laisser distraire. Comment lui avouait ? Par pudeur, par politesse, par peur du ridicule ?! Qu'en savait-il encore ? Jamais on ne faisait étalage de ses sentiments, on ne se répandait pas, c'était ainsi dans sa famille. Ne pas se faire remarquer, rester discret en toutes circonstances. Ne pas faire de vague. Parfois, le vernis craquait et la version policée de lui-même se métamorphosait en Mister Hyde. Il se détestait lorsque ça arrivait. Ses réactions au stress pouvaient paraître disproportionnées, mais l'imprévu le terrifiait. Il affichait une assurance désinvolte, mais sous cette façade se cachait une fragilité exacerbée. Son perfectionnisme, sa raideur d'esprit, son manque de fantaisie et d'impulsivité le coupaient du plaisir de vivre. Mal à l'aise avec les gens et les situations, il s'isolait. S'en rendait-il compte ? Non, puisque sa nouvelle vie lui convenait. Mais jusqu'à quand ?

Et pourquoi toute cette colère enfouie en lui ? Elle était bien présente, et pas uniquement depuis sa rupture avec Manon. Non ! Ça allait bien au-delà. Ses blessures étaient plus anciennes. Cette obsession d'être le meilleur en tous points pour combler un manque et d'avoir, juste, le sentiment d'exister aux yeux de sa mère, de son père. Tout cela remontait à son enfance ballotée de droit à gauche, d'appartement en pavillon. Alors, oui ! Tout cela pouvait expliquer certains traits de caractère, désagréables. Cette introspection était fort peu réjouissante car elle le ramenait à cette meurtrissure à l'âme, ancrée profondément en lui, une égratignure à son amour-propre : il avait échoué ! Avec Manon, avec ses études, avec lui-même, et maintenant avec Agathe. Déception. Mais il pouvait y remédier : il allait reprendre sa vie en main et cette perspective allégeait son cœur.

La maîtrise venait au secours du chaos. Toujours. Le chaos l'effrayait. Synonyme d'échec, de faiblesse, était inconcevable pour Tom. C'était une remise en cause de ses compétences, et savoir qu'il était faillible.

Il se dirigea vers l'un des placards et les contours du visage d'Agathe resurgirent sur l'écran immatériel de sa mémoire.

Arrête de cogiter, tu ne peux pas revenir en arrière et lui refaire ton speech !

Rien ne se passait comme prévu ?! Cette fille avait fait voler en éclats tous les verrous de sa forteresse. Ou presque. Il perdait pied. Bon, ce n'était qu'un contretemps... mais qui lui avait mis les nerfs à vif. Et le faisait ruminer. Il inspira à pleins poumons et expira jusqu'à ce que son diaphragme ait comprimé le maximum d'air. Apaisé, serein. Il allait pouvoir reprendre sa vie en mains et cette perspective allégeait son cœur. Il sortit du placard un verre et pris dans un autre une barre de céréales, pour la collation promise. Comme libéré d'un poids, il fit quelques pas pour s'installer dans le fauteuil, près de la bibliothèque, quand une latte craqua. Il soupira, puis avec un sourire... Tant pis ! Il devait composer avec, au même titre que ses voisines, sa proprio et la mère râleuse, ET Agathe.

L'essentiel était de retrouver un équilibre.

Tout commencerait demain !

Son sourire s'élargit.


L'Amour, Par-delà le Temps (en cours de réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant