Chapitre VII: Faire face à la réalité.

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Et si on ne trouve pas de solution ?

Si j'en crois la tête que fait Raphaël, il a lui aussi tiré les mêmes conclusions que moi.

- On dirait bien que Gaïa n'est pas notre seul problème.

Personne ne peut sortir.
C'est la fatalité qui pèse sur nos épaules depuis que l'on a découverte. Quoi qu'il se passe, nous sommes tous coincés ici. De mon côté, je ne tiens plus en place, je ne cesse de repenser à ces hommes que j'ai tués. Je ne comprends pas comment j'ai pu faire une telle chose et je comprends encore moins pourquoi je l'ai voulu. Cela fait maintenant une bonne dizaine de minutes que je fais le tour du parking sans cesse comme un fauve en cage, la vague de panique qui a secoué nos semblables a été endiguée. Il n'est maintenant plus question d'être volontaire ou non, nous devons faire face quoi qu'il arrive. Nous ne pouvons pas nous permettre d'être divisés. Ma tête se met subitement à tourner et je me laisse tomber sur le sol.

C'est là que la vois.

Délicatement posée sur une branche de sapin, elle me fixe paisiblement de ses yeux troublants, ces yeux que j'ai souvent vu dans mes cauchemars. Je les ai toujours considérés comme deux êtres maléfiques plutôt que comme des organes, ces yeux qui m'ont vue mourir de nombreuses fois. La petite chouette blanche incline la tête comme pour se demander ce que je fais là, assise par terre. Un éclair de défi passe dans ses yeux. Des yeux beaucoup trop humains pour être ceux d'une simple chouette.

Alors tu abandonnes Héloïse ?

Je ne sais comment l'expliquer mais elle me force a me relever. En une fraction de seconde je suis debout. Cette fois c'est de l'approbation que je lis dans ses yeux humains.

Et puis je comprends.

La force qu'elle dégage, la façon dont elle se tient, cette sagesse, ce regard aperçu dans mes visions, le respect qu'elle impose, l'impression de parler à un véritable monument.

Athéna.

Elle me regarde patiemment, je sais qu'elle attendu quelque chose de ma part. Sans que je puisse y réfléchir plus longuement, les mots traversent mes lèvres sans attendre mon approbation.

- C'est à vos côtés que nous allons nous battre.

La petite chouette blanche balance légèrement sa tête vers moi puis déploie ses ailes et s'envole, majestueuse.

15h10: le ciel se couvre.
15h15: la terre tremble.
15h20: tonnerre.
15h25: orage.

Les autres n'ont aucune confiance en mon accord muet avec Athéna et pourtant je sais qu'elle le respectera. Elle nous aidera. Maintenant nous attendons, tous alignés, la pluie s'écrasant violemment contre nos visages. Nous attendons Gaïa et je sais qu'elle viendra. Je ressens cette pression dans mon ventre, cette peur. Je ne me suis jamais ressentie à ma place, j'ai toujours eu le sentiment de manquer de quelque chose et maintenant que je vois cette silhouette sombre qui s'avance vers nous, je sais que c'est elle, qu'elle est en moi depuis tout ce temps, à attendre le bon moment pour mettre son plan diabolique à exécution. Elle était la voix qui ne me quittait jamais, qui me guidait, me hantait.

Elle s'approche lentement, vêtue d'une longue robe noire. Son visage est immaculé, blanc comme neige, alors que ses yeux violets me clouent sur place. Je peux sentir sa déception comme si elle était mienne.

"Tu m'appartiens."

Je veux que ça cesse. Ses yeux ne me quittent pas, se fondent aux miens, fusionnent avec eux.

"Tu as fait le mauvais choix."

Je ne pense pas.
Personne n'ose bouger ni même respirer. Gaïa s'arrête, nous détaille tous un par un. Nous nous fixons ainsi pendant plusieurs minutes jusqu'à ce que des géants fendent la forêt, détruisent les routes et déracinent les sapins pour se poster à ses côtés. Ils sont bientôt suivis par un cyclope et trois monstres constitués d'une cinquantaine de têtes et de bras enchevêtrés, moins imposants mais bien plus effrayants. Le vent froid s'engouffre dans mes cheveux, les fait voler, me fait trembler.

15h30: une petite chouette nous enveloppe de son regard bienveillant.

La bataille peut enfin commencer.

Nous fondons comme un seul hommes sur les trois géants qui restent de marbre face à nos attaques. A travers la mêlée, Gaïa reste immobile, me fusillant du regard. Je m'élève dans le ciel en ne la lâchant pas une seule fois du regard. Elle me rejoint bientôt, flottant sur un nuage de poussières et de feuilles mortes. Une fois à ma hauteur, elle me lance d'une voix pleine de reproches et de mépris:

- Tu m'as trahie.

Je me sens honteuse. Terriblement honteuse, alors que je ne dois rien à cette femme qui pourtant exerce un fort pouvoir sur moi. Je relève les yeux et l'affronte enfin, osant défier celle qui m'a créée. Et qui a fait de ma vie un enfer. D'un geste, elle fait jaillir diverses plantes des entrailles de la terre et je me retrouve très vite enlisée dans son piège végétal. Mes ailes, mon corps et ma bouche sont bloqués par les végétaux, un goût amer de terre emplit ma bouche lorsque j'essaie de mordre ce bâillon improvisé.
Gaïa s'approche de moi, si près que son souffle saccadé s'abat péniblement sur mon visage. Une liane me force à tourner la tête vers notre champ de bataille improvisé et j'y vois les géants décapiter, écraser ces pauvres gens qui semblent minuscules dans leurs mains. Je vois ces monstres immondes brûler et réduire à néant notre si petite armée.

Nerveusement, je cherche mes amis, et je les trouve. Liv se débat comme une furie dans la paume du cyclope, Loïs combat péniblement l'un des monstres aux mille têtes, Raphaël lutte avec Louca pour mettre à terre un géant, sans grand succès. Les larmes me montent aux yeux et je fais mon possible pour me débattre dans le piège de Gaïa.

- Regarde ce que tu as fait, Lizzie.

Je cesse de me débattre et fixe Gaïa avec une telle rage, une telle hargne que je suis persuadée qu'elle peut la ressentir.
D'un seul coup, je provoque une violente rafale de vent qui déstabilise Gaïa et la fait tomber de son nuage de poussière, elle chute et atterrit lourdement sur le dos alors que son piège végétal me libère. Je me désintéresse de Gaïa à présent inoffensive et me précipite pour voir où sont mes amis. Tous dans une mauvaise posture, je me rends vite compte que je ne peux en aider qu'un seul. Je me précipite donc vers Loïs que lutte contre un cyclope, je fonce sur lui et le fais chanceler. Le géant tombe lourdement à terre et un petit hamster lui monte dessus et commence à lui manger le visage avec énormément de rage.

Ah. Elle est utile finalement.

Je ramasse Loïs qui gît sur le sol avec un sourire triomphant.

- Tu vois, finalement notre hamster préféré est bien plus utile que toi.

Il attrape ma main et se relève en grognant, il me jette un regard noir et cherche nerveusement quelque chose dans la jungle qu'est devenue ce parking.

- Où sont les autres ?

Je parcours moi aussi les environs du regard et aperçois une petite silhouette allongée par terre, piétinée par la foule. En m'approchant plus près, je distingue ses cheveux violets devenus gris après tous ces jours sans entretien. Je me rue vers elle et essaie de détecter le moindre signe.

- Eh Liv, lève-toi !

Les larmes me montent aux yeux quand je vois son visage vide de la moindre trace de vie.

- Liv...

Je caresse doucement son visage pâle et encore chaud.

Elle est morte.

Loïs attrape mon bras et me force à m'éloigner d'elle. Je lutte tant bien que mal mais quand je vois la tête de Raphaël s'échouer près de moi, je tombe à genoux.

Tout le monde va mourir. Par ma faute.

Je sens Loïs me traîner plus loin mais cette fois je ne tente pas de me débattre, je suis juste vide. Une coquille vide.

- Lève-toi, bon sang ! Lizzie !

Ils ont tué mes amis. Je n'entends plus le monde autour de moi. Plus de combats. Plus de cris. Ma vue se brouille et je décide de fermer les yeux. A ce moment précis, j'aimerais ne plus jamais les rouvrir.

White Out [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant