41. Nerfs à vif

136 6 10
                                    

Orel lui avait proposé de rester dormir chez lui pour la nuit. Plein de remords, j'avais quitté l'appartement prétextant que j'avais une course à faire. Une fois à l'extérieur, j'avais passé une bonne partie de la nuit à arpenter le quartier. Mais cela ne m'avait servi à rien: j'en étais toujours au même point. Il  fallait que j'évacue cette rage intérieure. Que je trouve un moyen de reprendre entièrement le contrôle, sans avoir peur qu'IL ne revienne. Je revins chez Orel persuadé qu'en simulant mon état habituel, je finirai par me sentir mieux. En entrant, je le trouvai affalé sur le canapé, en train de caresser le chat. C'était comme s'il avait passé son temps à exécuter inlassablement les même gestes depuis mon départ.

-Elle est où? Demandai-je d'une voix basse en m'asseyant sur le fauteuil.

-Dans la chambre. Elle dort... Me répondit Orel sans lever les yeux.

Il resta silencieux de longues minutes puis ouvrit enfin la bouche:

-Tu penses qu'elle connait la personne qui la agressé? Dit-il en levant les yeux vers moi.

Je sentais le stress monter en moi. Se doutai-il de quelque chose? Où essayait-il simplement de me tirer les vers du nez? Il continuait à parler, enchainant répliques sur répliques comme s'il essayait de résoudre une enquête criminelle. Evidemment, j'étais pour le moment l'unique suspect, le suspect numéro 1; Car, c'est bien moi qui l'avait ramené chez elle.... J'en pouvais plus: il fallait que je lui avoue tout.  Mais au lieu de ça, je me contentai de lui hurler dessus sans raison.

-Mais ta gueule, putain! M'écriai-je.

Il cessa de parler puis ajouta:

-Ouais... C'est vrai que c'est pas trop le moment de reparler de ça... Désolé.

Il baissa la tête, tenant celle de son chat entre les paumes de ses mains. Les mains en tenailles contre mon visage, je repensai à son corps nu, à ses coups de ceinture, à toute cette rage que j'avais en moi. Je me sentais mal. Dégouté de devoir m'en prendre aux femmes pour calmer mes nerfs; dégoûté d'être lâche au point d'être incapable de me confier à mon meilleur pote. Et, à présent, ce qui me rendait fou de rage, c'était que mon meilleur pote, avec lequel je passai des journées entières, ne s'était toujours pas rendu compte que quelque chose clochait chez moi. Mes changements d'humeur fréquents, mes sourires forcés, ne semblaient pas l'intriguer. Je tentai de respirer profondément pour faire redescendre la pression mais n'y parvins pas. Gringo me fixait à travers la porte vitrée qui menait au balcon. Je retournai la tête d'un geste vif et me levai d'un seul coup du canapé.

-Cogne-moi....

-Quoi?! Bégaya Orel en cessant ses gestes de mains répétitifs.

-Cogne-moi... Répétai-je en me planta au milieu de la pièce.

Il resta immobile puis, voyant que je n'avais pas l'air de plaisanter, se redressa et posa Musachi sur le sol. Je me plantai devant lui, en bombant le torse et en serrant les poings.

-Allez, insistai-je.

-Mais t'es taré... Me dit-il en regardant autour de lui si mes éclats de voix ne l'avaient pas réveiller. Je vais pas te... te cogner.

Je l'attrapai soudainement par le col, pour le redresser. II me lança un regard étrange et resta là, devant moi à me regarder, sans bouger. Je le poussai violemment contre le meuble télé. Il se redressa tentant d'éviter mes coups en se protégeant le visage avec ses bras.

-Putain, mais bats-toi. Imagine que ce soit moi qui l'ai tabassé l'autre soir... Avouai-je à demi-mots.

Le regard d'Orel s'assombrit. Et, ce fut à ce moment-là qu'il se décida enfin à m'affronter. Les coups  volaient dans tous les sens. Et, très vite, nous nous retrouvèrent au sol. La pile de dvd et autres jeux vidéos tomba par terre, faisant voler les posts-it qu'on s'étaient amusés à annoter plusieurs semaines auparavant. Sur ceux-ci, je pouvais lire nos scores respectifs mais aussi beaucoup d'autres commentaires déplacés, très insultants à son égard. Ce qui rendit Orel encore plus fou de rage. Il se redressa, me maintenant au sol à la seule force de ses bras. Puis, il leva le poing comme  pour m'asséner un énième coup avant de le rebaissé et de s'allonger sur le dos.

-Je crois que je l'aime... Finit-il par dire, essoufflé.

-Moi aussi, murmurai-je en fixant le plafond.

-On peut pas continuer comme ça Gringe. Faut qu'on trouve une solution: Sois tu te mets en couple avec, soit je me mets en couple avec...

-Ou alors, aucun de nous ne sort avec elle...

-Hum, acquiesça Orel en étendant ses jambes sur le carrelage.

Je fermai les yeux, en pensant à ce que je venais de proposer. C'était, à mes yeux, la meilleure des solutions pour éviter que notre amitié ne finisse par en pâtir.  Mais comment la larguer sans que ça ne lui fasse trop de mal? Etant donné l'incident de la veille, le moment était mal choisi pour mettre un terme à notre relation. Je repliai mes jambes, les mains posées sur mon torse. Ma respiration était redevenue lente. J'avais enfin trouvé un moyen de L'éloigner de moi. Du moins pour un certain temps. Je me relevai puis aidai Orel à faire de même.

-Demain, on commence à y réfléchir sérieusement, lui suggérai-je, en observant les posts-it qui jonchaient le sol.

-Hum, hum...

-Dis?

-Quoi...?

-Est-ce qu'on restera potes, si je t'avoue quelque chose de grave...? Demandai-je.

-Tant que t'as tué personne, je vois pas pourquoi je t'en voudrais... ! Pourquoi?

-Non... Comme ça...

Orel se perdit dans ses pensées. Et, alors que j'étais passé à autre chose, il me fixa d'un drôle d'air avant de me poser la question que je redoutais plus que tout:

-Tu n'as rien fait de grave, Gringe...?

Je relevai la tête vers lui puis baissa les yeux. ma main vint remettre mon bonnet en place, par réflexe. Je levai à nouveau la tête, prêt à me confesser. Mais, au moment où j'ouvris la bouche pour parler, elle apparut dans le salon, l'air affolée.





A.C   [ORELSAN / GRINGE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant