90. Sacrifice

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Orel était allongé sur le canapé. Jimmy était contre sa poitrine, son pouce en bouche. Il fixait Orel. Mais celui-ci ne le remarqua pas. Il était ailleurs. Il venait de commettre l'irréparable et, au fond de son être, il ressentait comme un énorme vide. Malgré toutes les enquêtes criminelles qu'il avait vues à la télévision, tous les témoignages, fictifs ou non, de meurtrier, il savait que rien ne parviendrait à combler cela. Il avait fait le choix de prouver une fois encore sa fidélité éternelle à Gringe. De ses mains, il lui avait ôté la vie mais c'était maintenant la sienne qui s'en trouvait brisée. 

Ses mains se rejoignirent dans le dos de Jimmy, resserrant leur étreinte. Jimmy émit un petit son aigue ponctué d'un sourire. Orel, qui était maintenant tout à lui, se mit aussi à soulever les commissures de ses lèvres pour former un demi-cercle. 

Jimmy était un être sans défense qui aurait besoin, tout au long de son avancée dans la vie, de l'amour de sa famille. Et, sa famille était à partir de maintenant composée de deux personnes seulement: Orel et Gringe. Orel avait prouvé depuis ces quelques heures qu'il était capable de lui donner tout l'amour dont il avait besoin. Mais qu'en serait-il de moi? Cette question resta en suspens dans la tête d'Orel qui se leva du canapé, maintenant toujours Jimmy contre son corps. 

Faisant des pas menus, Orel emprunta le couloir, poussa la porte de la chambre dans laquelle je me trouvais. Sur le lit, mon corps était allongé sur le dos. Mes yeux fixaient le plafond. Je restais silencieux, immobile. Seuls les gonflements et les abaissements de mon ventre, indiquaient que je respirais encore. Orel referma la porte lentement, ne me signalant pas sa présence à l'entrée de la pièce. Cette journée avait été riche en émotions; j'avais besoin de rester seul, de réfléchir à tout ça et d'essayer de me vider la tête, de me décharger de toutes ses ondes négatives, criminelles. Orel le savait plus que trop bien: même si je paraissais insensible et qu'à contrario, lui passait souvent pour le gars le plus sensible de la Terre, il demeurait néanmoins le plus réfléchi de nous deux. Conscient de cela, Orel en était sûr à deux mille pour cent: il était de son rôle de remettre les choses en ordre. Et c'est ce qu'il décida de faire après avoir refermé la porte derrière lui.

-Prêt pour l'aventure...? Demanda Orel en regardant Jimmy dans le yeux. 

Le nourrisson acquiesça en élargissant ses petites lèvres baveuses. Debout dans la cuisine, Orel prit soin de mettre son portable en mode silencieux et de le laisser sur le plan de travail, s'assurant ainsi un premier alibi si l'affaire venait à être découverte: en cette nuit-là, Orel était resté tranquille chez lui avec son enfant et son colocataire. Dans le magnétoscope, Orel inséra une cassette dans la fente et programma la télévision pour que le film qui allait commençait soit enregistré. Il le regarderait ainsi l'enregistrement un peu plus tard dans la nuit ou le lendemain: Deuxième alibi. Orel jeta ensuite un coup d'œil à sa montre. Il se rendit à nouveau dans la cuisine pour récupérer une paire de gants en plastique, une éponge neuve et une bouteille de javel. Il mit le tout dans un sac à dos puis se posta devant la porte d'entrée, le cœur battant. 

Musachi l'observait du haut du plan de travail, d'où il descendit pour déposer un briquet, encore dans son emballage, à ses pieds. Orel le mit dans son sac avant d'inspecter pour la deuxième fois, sa montre. La petite aiguille s'avançait dangereusement du nombre douze. Le film allait commençait: Orel avait trois heures devant lui pour faire ce qu'il avait à faire. Il ouvrit la porte d'entrée et disparut dans la cage d'escaliers. 

Je ne me rendis pas compte de suite de l'absence d'Orel. Au bout d'une heure à peu près, je me décidai enfin de sortir de la chambre, pensant trouver quelques paroles réconfortantes. Mais lorsque je fis le tour de l'appart', Orel n'était plus là. Jimmy non plus. Il fallait que je me rende à l'évidence: Orel était parti à jamais. Il avait pris la décision de me laisser seul, de m'abandonner comme tous les autres. Je sentis une douleur écrasante dans ma poitrine. Je restai planté dans le salon, fixant l'écran de télévision qui diffusait un des film que j'avais vu plus d'une fois: "Une balle dans le crâne". C'était un signe: il était temps pour moi de faire mes adieux à cette vie minable et faire don de la mienne à la grande Faucheuse. 

Je me dirigeai dans la salle-de-bain. Dans ce lieu même où je l'avais terminée. Là, je bouchais la baignoire puis laissai l'eau du robinet couler. Je me dévêtus, me préparant à rejoindre l'autre monde en tenue d'Adam. Mon corps prit place dans ce cercueil ouvert et presque rempli à ras-bord. Je fermais les yeux et laissai ma tête s'enfoncer dans cette eau glacée, entrainée par le poids lourd d'une altère de quelques kilos. Peu à peu, mon esprit commença à divaguer. 

Mes yeux s'ouvrirent lentement pour apercevoir une eau trouble. Puis, au-dessus de moi, je vis la silhouette d'Orel se penchait pour me tirer hors de l'eau mais il n'y parvenait pas. "Orel" voulais-je crier mais aucun son ne sortit de ma gorge qui me faisait d'ailleurs, atrocement mal. Soudain, je sentis comme une petite main qui me griffait le cou. La douleur était présente mais ce n'était rien comparer à cet objet de musculation. L'altère se déplaça vers mon torse d'un mouvement lent, rotatif. Mon buste se contracta instantanément, propulsant ma tête hors de l'eau. 

-Orel, m'écriai-je en toussotant gravement.

Mais Orel n'était pas là. A la surface de l'eau, une masse rousse agitait ses pattes en tous sens. C'était Musachi. Sans réfléchir, j'arrachai le bouchon de la baignoire, fermai le robinet d'eau et hissai la boule de poils hors de l'eau, la déposant sur la serviette qui était au sol, devant la baignoire. L'eau finit par disparaitre en un tourbillon, aspirée par le trou béant. Je tentai de reprendre ma respiration, le prénom d'Orel toujours à l'esprit. 


A.C   [ORELSAN / GRINGE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant