Prologue I.

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Le père Ulrich se sent fatigué. Très fatigué. Ses jambes ont du mal à le porter. Cela fait une semaine qu'il n'a pas assisté à la messe. Il communie depuis sa cellule, avec un de ces jeunes frères.
"Il a encore le goût du service, pense Ulrich. Soit ce jeune a été envoyé par son maître, soit la relève est assurée !"
Ulrich tousse un peu, conscient de la pensée malsaine qu'il a eue. Il n'a jamais été cynique mais, maintenant qu'il entre en agonie, la pureté d'une opinion vraie est tout ce qu'il souhaite ; qu'elle vienne de son prochain ou de lui-même.
" Ce jeune est bien, laissons-lui une chance !"
Il se propose tout seul cette idée, se sermonnant de manquer de respect à un de ses pairs. Ulrich sait bien qu'il ne fait que de tort qu'à lui-même, en pensant à mal ou en doutant. Manquer de foi en la vie, est un affront envers le Seigneur.
Alors, avec confiance, il demande au jeune homme qui le sert, après la prière du soir :
"Mon jeune ami, je te prie de m'envoyer notre supérieur. Et, si je peux me permettre, veille à transmettre mes salutations au père Adalbert. Fais vite, puis passe une bonne nuit."
Le père Ulrich se permet de tracer le signe de croix sur le front du jeune homme.  Il effleure son chef en même temps, comme s'il répétait un geste d'imposition des mains.
Il ne l'envoie pas accomplir une mission exceptionnelle, certes. Mais Ulrich dépend à présent des autres. Il est soumis au bon-vouloir des hommes. Il sait qu'il peut s'en remettre au Seigneur, même aujourd'hui. Il ne l'a pas toujours fait, mais il le sait maintenant.
Le vieux prêtre compte ce soir sur des hommes. Alors, malgré le visage blême de ses semblables, il cherchera encore à y voir celui de son dieu.
On ne se fait pas apôtre sans raisons, il faut à l'âme plus de lumières que d'obscurités. Et cette clarté, ce qu'on appelle la Grâce, n'a jamais touché que ceux qui l'ont activement cherchée.

Le père Ulrich est toujours un peu surpris, quand il se réveille le matin. Il jongle entre ces deux questions :
« Le Seigneur m'a-t-il oublié ? Ou, pense-t-il trop fort à moi, pour m'accorder une vie aussi longue... »
Le jeune homme l'aide à communier une fois encore. En ce jour aussi, Ulrich n'a pas réussi à se lever. Les sacrements viennent tout de même à lui. Mais sa prière est-elle aussi puissante, s'il ne la proclame pas derrière l'autel, si elle n'est pas portée par une assemblée de cœurs fidèles ?
Il communie toujours, et espère qu'on ne l'accusera pas de le faire du bout des lèvres, s'il ne parvient pas à se lever encore quelques jours de plus.
Puis, le jeune se retire, après avoir fait un geste d'approbation quant à la requête d'Ulrich. Ainsi le vieux père a été entendu, le supérieur passera le voir rapidement entre deux tâches. Après le repas, certainement Ulrich pourra-t-il converser avec Adalbert, si le supérieur l'y autorise.
« Converser » n'est pas exactement le terme qui s'emploie dans l'idée de ce qu'il veut faire avec son vieil ami. Le supérieur est censé y mettre son grain de sel, et faire obéir ceux qu'il dirige au sein de couvent.
Le père Ulrich s'expose peut-être à cacher sa vérité. Mais, sentant sa fin proche, il ne croit pas que cela retombera sur sa tête. Son agonie ne le privera pas de la liberté qu'il vient de prendre.
Il a choisi en son for intérieur de se confesser à Adalbert. Leur supérieur est en droit de le lui refuser, c'est pourquoi Ulrich a recours à cette ruse, celle d'une amitié à entretenir.
Les circonstances feront, « avec un peu de chance » songe Ulrich, que ce soit ce vieil ami qui puisse prononcer sa recommandation au Seigneur, et procède au sacrement de l'extrême onction.
Adalbert, s'il accepte de recueillir sa confession de cette manière un peu cavalière, sera le mieux placé pour pardonner ses péchés à Ulrich.
Plus tard le supérieur accordera une visite récréative d'Adalbert au vieux père alité, sans savoir ce qui sera dit entre les deux hommes.




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