Deux nuits plus tard, je fis un rêve. C'était à la fois mon rêve le plus sombre de toute ma vie, mais aussi le plus lumineux.
Je rêvai qu'une petite fille en pleurs était venue mon trouver pour se faire pardonner. Elle avait perdue un agneau en forêt, et quitte à se faire punir par son père, elle voulait d'abord, si je lui permettais le pardon de notre Seigneur.
« Ne t'inquiète pas, cherchons d'abord ton animal, qu'en penses-tu ? »
La petite fille trembla d'effroi. Elle me dit qu'elle ne savait pas où chercher, et que c'était trop dangereux pour elle. Puis elle ramassa une pierre lourde, rugueuse.
« Prenez, père Ulrich, vous en aurez besoin pour vous défendre...
- Pourquoi donc ?
- Qui sait ? Peut-être sont-ce les magyars qui ont capturé l'agneau que je devais protéger. »Ce fut à mon tour de trembler d'effroi. Mais je m'étais engager, et ma quête de l'agneau commença.
J'entrai dans la forêt, plus ténébreuse que jamais. Je reconnus l'odeur du sang, puis en vis les traces. Entre deux arbres, sur un tapis de lierre, je vis l'agneau étendu, égorgé mais vivant, suffocant.
« Tu as fait fuir les magyars, Ulrich, dit l'agneau. Tu sais ce qu'il te reste à faire...
- Je ne peux pas, pleurais-je. Je ne veux pas !
- Je vais te dire pourquoi tu peux, et surtout, pourquoi tu le dois... »Et l'agneau me conta l'histoire de Saint Ulrich, l'évêque d'Augsbourg dont je porte le nom, avec tant de détails et d'images, qu'elle était plus précise que si je l'avais vécue moi-même.
Le saint qui œuvre depuis tant de siècles, accomplissant tant de bonnes actions miraculeuses sur nos terres, avec la constance et l'énergie du ciel, appartenait de son vivant à une famille de nobles. Il était né il y a plus de six cents ans, avec une santé comparable à la mienne.
Jusqu'à sa dix-septième année, Ulrich avait été accepté comme novice dans un monastère pour étudier. Là il connut la même incertitude que moi, hésitant entre le destin de prêtre, et celui de moine.
Il exerça alors plusieurs métiers pour son oncle, le puissant évêque d'Augsbourg, tout en approfondissant ses études avec sérieux.
A la mort de l'évêque, Ulrich eut le loisir de rentrer chez ses parents, sans savoir ce qu'il ferait, ou serait lui-même. Mais un autre membre de sa famille, qui n'était rien de moins que le duc d'Alsace et de Souabe, fit jouer de son influence pour qu'Ulrich succède au successeur de son oncle, à l'évêché d'Augsbourg...
Cette ordination lui permit de saisir de formidables opportunités. Il sut profiter des occasions offertes par un tel poste pour améliorer ce qui lui avait été confié.
Il est responsable de l'augmentation des richesses, de la meilleure manière de vivre des hommes et femmes de l'Eglise. Ce fut aussi par l'autorité confortée des règles qui encadrent l'existence des créatures du dieu, conférée par le dieu lui-même, qu'il parvint à accroître, à construire, à ériger, peu à peu, pierre par pierre l'application des lois universelles du Seigneur.
Des églises furent construites pour que la religion, soutien et moteur de la vie des hommes, soit plus proche encore de ceux qui en avaient besoin.
Tel le bon pasteur, Ulrich était toujours en chemin d'une paroisse à une autre, quadrillant le territoire dont il avait la charge, pour dispenser sa générosité, et tenter de subvenir aux demandes de ceux dont il connaissait la fragilité.
Le rythme des pénitences qu'il s'accordait, à l'imitation des douleurs qu'avait ressenti notre sauveur, dépassait la mesure : Ulrich ne lésinait pas et augmentait ses passions comme seul le saint était capable de les endurer.
