Charlemagne - II

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Ma bouche était ouverte plus grande que mes oreilles à l'écoute des exploits aventureux, et de l'ingéniosité belliqueuse de cet Othon. Désormais, rien qu'à son nom je prendrais courage, même face à des adversaires qui n'avaient rien d'humain ou de tangible.

L'illustre Charlemagne avait-il perdu sa place dans mon cœur ? Car sur les bancs des écoles, pour ceux qui avaient déjà compris la nécessité de s'instruire, il y avait la place de cet empereur, digne d'un certain Jules César.

Il avait compris qu'il n'y avait pire ennemi que soi, ni pire adversaire que celui qui était dans ses propres rangs. Pour vaincre un ennemi il fallait le diviser, pour tuer les coalitions il fallait les faire imploser, une union ne défaillait qu'avec la mésentente.

« Mais ne prends pas trop exemple sur ces ruses, Ulrich : ce sont des armes, qui pourraient se tourner contre toi. Ce sont les mêmes glaives dont disposent le Malin pour nous ruiner. »

Il était vrai que le démon divisait les gens de bien pour régner, lui aussi. Je ne serais décidément jamais un chef de guerre, n'oserais jamais prendre le risque de sacrifier ce qui faisait de moi un serviteur du Seigneur.

Qu'il était difficile de faire la nuance ! Priait-on pour la paix, ou pour la victoire ? Pour que le sang de nos impuretés soit bu par nos campagnes ?

Othon voulait devenir l'empereur de son empire, et tous les moyens devaient justifier cette fin, ce qui ne cesserait jamais de me plonger dans de profondes réflexions.

Les jeux d'alliances qui l'avaient menacé, il ne s'était pas interdit d'en être occasionnellement auteur lui aussi. Que ce soit par le mariage ou des désunions, sa légitimité avait un prix qu'il voulait payer. Les héritages et les successions ne naissaient-ils pas, de tous temps, avant les héritiers et les successeurs ? A quels autres moyens allait-il recourir, pour affiner et asseoir, une œuvre pourtant belle ?

L'œuvre de Dieu étant parfois au service des hommes, Othon avait profité de ses largesses. Etant homme, pourtant, il ne pouvait pas ignorer la peur. Quand le vent tournait, il se recentrait sur les humbles qui lui donnaient sa puissance.

Ainsi, en se mettant au service de tous, Othon était aussi au service de lui-même.


J'interrogeais mon professeur sans honte :

« Et quel était le plus grand ennemi d'Othon ? »

Mon enseignant prit un temps de réflexion à peine perceptible. La victoire écrasante d'Othon sur les autres était due à une victoire sur lui-même. Il avait vaincu les démons intérieurs, l'ennemi intime.

Mais c'était étrangement par le destin funeste de ses ennemis extérieurs qu'il recueillie les plus beaux lauriers, en anéantissant tous ceux qui venaient hors de l'empire. Les adversaires étaient venus mourir sur les champs de bataille de l'empereur. Les annexions étaient offertes à ceux qui n'avaient pas combattu, qui tenaient avec fidélité et loyauté à la vie.

« Mais tout cela, je pense que tu le sais déjà, Ulrich ! Car, ce que tu veux me faire dire à mot à peine voilé, c'est comment l'empereur a-t-il les vaincus les magyars ! »

Mon professeur commettait-il une erreur, en présumant de mes connaissances, ou bien était-ce moi qui n'entendait rien à ses discours ?

« Que sont les magyars ? »

Mon enseignant dut faire semblant d'être surpris par ma demande, pour ne pas me punir de tant de médiocrité.

« Ignores-tu ton propre nom, Ulrich ? »

Je portais un nom de Saint, un homme à l'histoire vertueuse sur qui je ne m'appuyais guère, me faisait-on comprendre. Mon professeur répétait pourtant les mêmes leçons, face à l'audace irrespectueuse de ma mémoire. Je savais effectivement déjà tout ce qu'il me disait, mais j'avais besoin de l'entendre de sa bouche.

Je voulais qu'une personne digne de confiance soit objectivement certaine de ce qui m'était apparue par inspiration divine.

« Rappelle-toi tes leçons, Ulrich. Rappelle-toi. Augsbourg ! Rappelle-toi... »

Et le professeur me décrivit ce qu'étaient les magyars. C'était des guerriers incendiaires, des barbares conquérants, soumis à leur sorcellerie païenne. Les magyars avaient changés de visages, mais étaient toujours prêt à nous anéantir, par le pouvoir de nos propres pensées. C'étaient des magyars dont je rêvais la nuit. Dans mes cauchemars, les magyars l'emportaient.


Ulrich Où les histoires vivent. Découvrez maintenant