Adieu mon fils

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Je suis debout, dans l'encadrement de la porte de la chambre. Mon mari est déjà là, assis sur le lit de notre fils. Le visage fermé et triste. Je sens bien qu'il se retient de pleurer. Il veut garder son allure d'homme fort de la maison, pourtant, au fond de lui, il est dévasté. D'ailleurs, je le suis aussi... Pourquoi faut-il que la vie nous enlève notre enfant ? Notre fils unique, l'amour de notre vie. Il est parti. Il n'est plus là. Cette pensée me fait monter les larmes aux yeux, mais je secoue vivement la tête pour tenir le coup.

— Il faut commencer...

Mon mari relève la tête, me regarde et la hoche doucement. L'idée de monter toutes ses affaires au grenier ne l'enchante pas, mais c'est nécessaire, nous ne pouvons pas tout garder ainsi. 

Péniblement, il se lève, prend un carton et commence à ranger.

En voulant déplacer la commode près du lit, il fait tomber le ballon de foot de notre fils, qui tenait en équilibre entre cette dernière et le lit. Le ballon roule à travers la pièce, sous le regard triste de mon homme.

— Eh merde, grogne-t-il, en se baissant pour le ramasser.

Une fois le ballon dans ses mains, il reste le regarder, les yeux peinés. Il se laisse tomber sur la chaise du bureau en soupirant.

— Tu te souviens, commence mon mari, la voix tremblante. C'est moi qui lui ai offert ce ballon, pour ses six ans.

— Quand il a commencé le foot, murmuré-je, pensive.

Le souvenir de ce jour me revient en mémoire. Son petit visage s'était illuminé quand il avait découvert le magnifique ballon bleu et blanc, dans les mains de son père. Les yeux écarquillés et le sourire jusqu'aux oreilles, il avait sauté dans les bras de mon mari en serrant son nouveau jouet contre lui. C'était une merveilleuse surprise...

— Il l'aimait tellement qu'il ne voulait pas y jouer sur le goudrons, rigole doucement mon homme. Je me rappelle de toutes les parties de foot, de tous les jeux que l'on faisait ensemble...

Mon mari se tait, le regard perdu dans le vide. Doucement, je m'approche de lui. D'une main douce et rassurante, je serre son épaule pour lui montrer que je suis avec lui. À mon contact, je le sens frémir. Il vient déposer sa joue sur ma main en enlaçant mes doigts avec les siens.

Après quelques minutes dans cette position, il soupire fortement et se relève, chancelant.

— Il faut aller chercher un sac-poubelle, on va avoir des choses à jeter, dit-il en me montrant d'un signe de tête le dernier tiroir du bureau, à moitié ouvert, qui débordait de papiers de bonbons et gâteaux.

Je soupire à mon tour. Ça ne m'étonne pas de mon fils, il pensait que je ne remarquais pas que les paquets de gâteau disparaissaient du placard à goûter. Il oubliait qui faisait les courses dans cette maison.

Sans un mot, je me dirige vers la porte de la chambre pour chercher un sac noir. 

Alors que je descends lentement l'escalier, je me rends soudain compte du silence qui règne. Depuis son départ, la maison est devenue calme. Avant, les rires et les éclats de voix de notre fils résonnaient dans toute la bâtisse, c'était un vrai rayon de soleil. Mais depuis qu'il est parti, c'est comme s'il avait emporté l'âme de la maison avec lui.

Le sac-poubelle attrapé, je remonte dans l'ancienne chambre de mon petit garçon. Arrivée dans cette dernière, j'observe mon mari qui vient de terminer de ranger toutes les bandes dessinées dans un vieux carton. 

Lorsqu'il me voit, il s'arrête et me regarde tristement. Je peux y voir mon reflet dans ses yeux larmoyants. Lui, qui a toujours tenu à cacher ses émotions, à être un homme fort et courageux qui ne verse jamais de larmes, le voir ainsi me fend le cœur. Depuis que son fils unique nous a quittés, il n'est plus le même, il tourne en rond, il s'ennuie. Notre garçon lui manque atrocement. Et moi, je ne sais pas quoi faire...

Doucement, je m'approche de mon époux. Je le regarde dans les yeux, esquivant un léger sourire compatissant. Délicatement, j'étreins son épaule avec ma main ; et d'une voix rassurante, je lui murmure :

— Ne t'inquiète pas, on le reverra bientôt. Après tout, l'université n'est qu'à trois heures de route...

Maux Dits (recueil de nouvelles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant