Grégoire maniait sa gourde avec dextérité. Mouillant les cierges avec application, ils allaient être inutilisables pour le curé jureur. Un prêtre qui pouvait se marier, qui était élus par des athées et non-reliés à Rome ! Grégoire avait beau n'avoir que six ans, son intelligence, qu'il tenait de sa mère, lui avait bien fait comprendre l'énormité de la chose. Il ne savait pas ce que voulait dire « athée » mais ce mot lui semblait trop court pour ne pas être suspect. Ça, c'était sûr. Ils étaient une dizaine d'enfants et de bergères à trafiquer la petite église du village. Le prêtre jureur, ainsi qu'un détachement de soldats de la garde nationale, ne devaient pas tarder. Sa besogne faite, Grégoire rejoignit Claire, sa jeune gouvernante qui l'avait emmenée, complice de la farce.
- « Louloutte », demanda-t-il, le trutton, il va être accompagné par beaucoup de soldats ?
« Trutton » était le surnom des curés républicains.
- Il faut le croire monsieur Grégoire, peste soit des truttons !
Claire cousait grossièrement les ouvertures des vêtements sacerdotaux.
- On ne lui laissera rien à ce faux-curé, n'est-ce pas vous autres ?
- Absolument !
On sciait à moitié les pieds de la chaise où s'asseyait habituellement les prêtres. Certains voulait aussi piéger le lustre, cadeau de l'ancêtre du Baron Eugène, mais Claire les en empêcha. Par respect pour ses employeurs et pour ne pas faire de mort. On couvrit les statues de tissus noirs, comme si elles étaient en deuil. La gouvernante et Grégoire savaient très bien qu'ils n'avaient rien à faire là. Le garçon avait prétexté aller voir l'abbé Mercy pour son catéchisme, mais avait en fait, il avait suivis Claire. Il détestait mentir à ses parents, surtout à son père qui haïssait le mensonge, mais il n'avait pas eu d'autre choix, sinon, ils ne l'auraient pas laissé partir. Grégoire était triste de devoir faire ça, mais il ne pouvait rester neutre, même à son âge, alors que les enfants des fermiers de son père, organisaient une résistance. Il appréciait beaucoup son église romane, aux murs épais et blanchis à la chaux. Elle avait d'humbles vitraux, avec des couleurs vives. Les icônes avaient été faites par les habitants du village, c'étaient des dessins simples et naïfs. Il pouvait réciter la vie de chaque saint représentés et aussi quelle famille les avaient faites. Grégoire y ferait sa communion dans trois ans si tout allait bien.Il avait hâte, mais sans curé jureur! Le garçonnet arrêta d'être morose car il fut pris par l'excitation juvénile que procurait la préparation d'une bonne plaisanterie. Les ciboires précieux furent remplacés par des imitations en métal, percés de trous discrets. Grégoire aida à vider le tronc des pauvres. L'argent devait être rendu en intégralité à Auguste Chapelle, homme intègre, chef du village et aussi le frère du majordome des Guérinière. On entendit soudain le choc bruyant des sabots de bois contre les pavés.
- Le tru... Tru... Trutton, aa... Aa... Arrive ! S'écria une fillette.
Les gamins se munirent de pierres, de légumes et de fruits pourris préparés à l'avance. Quelques-uns détachèrent leur chien.
- M'sieur Grégoire, intervint un petit-fils de Chapelle, vous venez ? On va tendre une embuscade !
La Guérinière rougit d'envie. Mais sa gouvernante le retint, il ne fallait pas non plus aller trop loin et tenter le Diable. Le garçon dû regarder ses compagnons partir. Ils restèrent encore pour veiller aux derniers détails puis sortirent. Claire ferma la porte et prit la clé. La gouvernante et son protégé traversèrent la place, confièrent l'argent à la femme de Chapelle et allaient prendre le chemin menant au château, quand une grande clameur les arrêta.
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La Louve de la Grande Armée
Historical Fiction"En attente du sacrifice." Maud ne pensait pas que la devise familiale de son mari se vérifierait un jour et pourtant. L'arrivée de la Révolution bouleverse leur monde. Ils devront faire un choix: partir au risque de se perdre? rester au risque se...