Maud contemplait son mari endormi. Elle était heureuse, un doux sentiment de sécurité l'entourait. Il lui semblait qu'elle n'était née que pour ça. Pour être le soutien constant et discret d'un grand homme. Être l'ange gardien d'Eugène. C'était bon, c'était agréable de se le dire. Malgré sa petitesse, elle était indispensable au baron. Elle joua avec les mèches bouclées qui se confondaient dans l'obscurité de la chambre conjugale. La jeune femme attendit encore un temps. La respiration devint régulière et profonde. Maud patienta un moment. Les minutes s'allongèrent, devenant des heures. Minuit sonnait à la pendule lorsqu'Eugène se mit à ronfler bruyamment. La Baronne se retint de rire. L'heure était enfin venue.
Elle embrassa une dernière fois son cher époux puis se glissa hors des couvertures. La blonde se laissa couler sur le parquet froid et enfila ses souliers. Refermant la porte avec précaution, elle se retrouva une nouvelle fois sur le palier mais cette fois-ci, seule. C'était fantastique. Avec le gong de minuit, avec les carillons de la pendule s'étaient envolées et annihilées les obligations et l'étiquette. Maud se mit à rire. Elle se jucha sur la rambarde et glissa jusqu'en bas. En touchant le sol, elle tournoya grisée et étourdie par la liberté que lui procurait l'heure tardive.
Un chandelier allumé l'attendait sur une commode. Nullement étonnée, elle le prit ainsi que le sabre d'Eugène qui pendait en exposition dans l'antichambre. La jeune femme sortit par l'arrière du château et se hâta de se rendre à l'une des dépendances qui se trouvait illuminée. La nuit était son élément et son amie. Une alliée précieuse qui lui permettait toutes les folies. C'était sa face cachée. Jeune, sensible et candide le jour, la nuit c'était une Louve sans peur ni entrave. Une dualité de personnalité qui l'habitait depuis longtemps. Jamais on ne s'en était jamais douté et seule une personne le savait. Cette personne était Claire, la gouvernante de Grégoire. Les deux femmes étaient du même âge et se connaissaient depuis l'enfance. Maud n'avait trouvé que cette orpheline pour lui confier son incroyable secret.
Arrivant enfin dans la petite maison, Claire qui l'attendait, se leva de son siège et sortit son sabre.
- Cette fois-ci, dit-elle, j'ai pensé aux gants de cuir. Pauline Murice m'a posé des questions sur ma cicatrice à la main.
- Vous avez bien fait Claire, répondit Maud en se mettant en position de combat.
Le bruit des armes qui s'entrechoquent se perdit dans la nuit noire.
*****
Avant de continuer notre histoire ; nous nous arrêterons quelques instants sur le village de la Guérinière. C'était une ravissante bourgade constituée, au XVIIIème siècle d'une cinquantaine de maisons basses aux toits de tuiles de couleur ocre. Elles étaient disposées tout le long d'une rue principale qui menait directement à l'église paroissiale sur la place puis qui contournait l'édifice des deux côtés. Ces deux brins de route se rejoignaient juste derrière le sanctuaire, pour repartir en ligne droite jusqu'au château. Chaque famille avait un emplacement particulier. Les Murice habitaient aux extrémités de la paroisse, le long des routes où ils voyaient passer tout le monde et étaient au courant de tout. Ils étaient plutôt artisans, l'un était cordonnier, l'autre menuisier... Leurs œuvres trônaient sur le montant de leur porte.
La place du village était ovale et fort large. Au milieu se trouvait un immense if majestueux au pied duquel coulait une fontaine d'eau claire. L'arbre avait été planté par le fils aîné d'Erwan de la Guériniec ; Yves. Des gamins y grimpaient ou reposaient sous son ombre. On y dansait souvent, pour les fêtes et les mariages, ou même par simple envie. Sur le bord gauche en arrivant devant l'église, Margoton avait sa forge qui donnait sur cet endroit. Elle était assez humble mais il en sortait des merveilles. Juste à côté il y avait une jolie petite auberge. Le forgeron était un habitué. Un peu plus loin se trouvait le presbytère, très simple, cependant admirable. Une vierge ressemblant à celle du château, accueillait les fidèles sur une arche mince qui servait de portail à la maison du serviteur de Dieu.
De l'autre côté de la place, il y avait la maison coquette et fleurie des Montfort. Ce dernier n'y était guère souvent présent. Toujours parti soigner ses semblables ou bien les animaux,les fidèles compagnons des premiers. Montfort se trouvait juste en face de la boutique de Margoton, il en profitait pour vérifier parfois son débit de boisson. A chaque fois Philibert Margoton grognait comme remerciement ; « Il est pire que le cureton ! »
Jouxtant la demeure du médecin, s'élevait celle de Chapelle, la plus vaste et la plus élégante. Chapelle était un laboureur, fils de laboureur, depuis des générations, tous étaient nés près de l'Evre, c'étaient des enfants du pays. Leur sang; c'était l'eau croupie des marais, les ruisseaux des forêts, leur chair était l'argile de leurs champs. Cette famille était inébranlable, présente sur cette terre mais hors du temps. C'était en cela qu'ils ressemblaient aux Guérinière. Ils étaient des hommes, des femmes, maîtres de leur destin, amoureux de leur patrie. Ils avaient été chef du village depuis des temps ancestraux. Ils s'occupaient de terres vastes et riches.
Après on quittait le village, une route partait vers l'Ouest menant au cimetière. Les ruelles de ce village étaient étroites mais claires et propres, pas comme les faubourgs de Paris. Des fleurs croissaient partout. Des loups, l'emblème de leur paroisse, étaient dessinés sur de nombreuses portes. Une rue passant entre Montfort et Chapelle menait vers le Nord-Est, vers l'Evre où le moulin à eau des Randoit s'élevait. C'était du bel ouvrage, le bijou de cette famille qui en prenait grand soin. Ils en tiraient une fine farine très reconnue. Le village était entouré au Sud d'une épaisse forêt mais tout le Nord était cultivé. C'était un paysage idyllique où l'on vivait en paix.
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La Louve de la Grande Armée
Historical Fiction"En attente du sacrifice." Maud ne pensait pas que la devise familiale de son mari se vérifierait un jour et pourtant. L'arrivée de la Révolution bouleverse leur monde. Ils devront faire un choix: partir au risque de se perdre? rester au risque se...