~5~

108 22 48
                                    

  Les mains dans le dos, un sourire innocent étirant ses lèvres charnues, le jeune prince erre dans les couloirs du Palais. Ses chaussures polies foulent le tapis rougeoyant qui sillonne le bâtiment. Une large porte immaculée perce le mur à sa gauche. Il jette un rapide coup d'œil par la porte entrebâillée. Son pas ralentit de lui-même. Tout, dans cette salle, l'attire. Il sait que le trône et le large balcon duquel son Père déclare ses rares discours s'y cachent.

Un garde aperçoit son regard et d'un pas rapide, il claque la porte. Une grimace amère déforme le visage du Prince. Il secoue la tête, emportant ses boucles brunes dans le mouvement.

De toute façon, le trône lui reviendra bientôt. Fini les portes entrebâillées par lesquelles il n'a pas le droit de jeter un coup d'œil curieux, fini les menaces qui planent sur son monde, fini les dangers et autres créatures maléfiques qui empoisonnent sa vie, l'empêchant de réaliser tout ce dont il a envie.

Ces pensées le mènent aux durs propos que son Père lui a tenus récemment. Le goût métallique de la colère provoquée par l'injustice emplit sa bouche ; il s'humidifie les lèvres et grimace. Son Père, le Roi, lui a défendu de l'accompagner pour sa partie de chasse, malgré les demandes insistantes de son fils. Le Prince est persuadé que la situation actuelle est la cause de ce refus.

Cette maudite prophétie surtout, qui gravite autour de la santé du roi. Des âneries, excellemment bien écrites, expliquant que les animaux fantastiques peuplant Mythomorphia, lorsqu'ils s'échappent et rejoignent le Monde des Hommes, en ramènent afin de ramener la paix dans son monde. Ramener la paix ? La consternation et l'amusement qui s'emparent de lui rejaillissent dans un rire grave. Comment pourraient-ils, ces misérables Humains, ramener le calme dans un monde où le chaos n'a jamais eu sa place ?

Une pensée pernicieuse explose à la surface de son cerveau : peut-être que son père lui a caché certains aspects de la vérité.

Le jeune homme écarquille ses beaux yeux chocolat dans un mélange de surprise et d'effroi d'avoir poussé son raisonnement jusque-là. Il secoue la tête, tentant vainement de chasser cette théorie. Son regard échoue sur sa droite. Ses iris observent les jardins au travers des larges fenêtres du couloir. Le ciel clair, taché de quelques légers volumes d'eau qui s'amassent en fins nuages, lui donne envie d'aller se promener. Peut-être cela remettra-t-il en place ses idées.

Le Prince s'approche de la lourde porte d'entrée du Palais, que deux gardes lui ouvrent en prévision de sa sortie. Il les remercie d'un infime hochement de tête. Il descend en trottant les quelques marches de pierre avant d'atterrir dans les gravillons qui forment le chemin qui serpente dans les jardins. Il prend la direction des écuries. Il a envie de monter Voyou. Un fin sourire étire ses lèvres en prévision de cette activité.

Les quelques fleurs qui s'épanouissent sur les bords du passage embaument l'air de mille senteurs, dont les narines de Mathieu s'empressent de se délecter. Il entre dans les écuries. La fraîcheur de l'ombre lui arrache un soupir d'aise, tandis que l'odeur familière des animaux emplit la pièce.

L'héritier hèle son cheval, dont le museau bai ne tarde pas à apparaître dans le box du milieu. La lourde tête de l'animal s'extrait de sa stalle et l'étalon hennit à la vue de son propriétaire. Le jeune Prince lui ouvre et attend que le mammifère en sorte. En quelques foulées paisibles, Voyou rejoint sa place attitrée, permettant au Prince de s'en occuper. Fouettant l'air de sa longue queue argentée, le cheval attend patiemment. Il a toujours tenu à s'occuper personnellement de son étalon, trouvant des arguments face aux remarques réprobatrices de son Père.

L'aile gauche de sa monture dont il manque quelques plumes dorées pend piteusement sur le côté. On lui avait pourtant promis un rétablissement rapide ! Un bruit de bouche réprobateur claque aux oreilles de Voyou, habitué aux sauts d'humeur de son cavalier.

Mécontent, le jeune homme marmonne un instant et se décide à monter à cru, afin de ne pas blesser son compagnon.

Obéissant aux sons de voix de son cavalier, le cheval sort des écuries et se promène dans les Jardins, où de splendides plantes se gorgent de soleil. Les quelques ouvriers qu'ils croisent les saluent, un sourire aux lèvres ; ils ont maintenant l'habitude de voir le Prince monter sans harnachement, bien qu'au début cela les surprenait.

Mathieu mène leur duo vers le fond du parc où un petit ruisseau chantonne. L'étalon abaisse sa nuque pour s'hydrater tandis que le cavalier s'allonge sur son dos. Les mains derrière la tête, celui-ci ferme les yeux, profitant du calme apaisant des jardins.

Un croassement explose dans le silence environnant. Le Prince grimace furtivement, mais garde les paupières closes. Il ne se soucie pas de l'hippogriffe, jusqu'à ce qu'une seconde vocifération résonne.

Qu'est-ce qui lui prend ? pense-t-il en ouvrant un œil.

Le griffon effectue de larges cercles dans le ciel, juste au-dessus des Jardins. Que lui arrive-t-il ?

Son regard intrigué suit les mouvements de la bête, en quête des raisons de ce comportement étrange. La main en visière pour se protéger des rayons du soleil, il scrute la créature.

Le cœur battant, il fronce soudainement les sourcils et se redresse sur ses coudes.

Pourquoi cet animal porte-t-il un cavalier ? Son étonnement s'accroît alors qu'il réalise qu'il ne s'agit pas d'un habitant de Mythomorphia.

C'est un Homme.

Que fait-il ici ? 

L'Esprit de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant