VII - Flou

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Les secondes avaient semblé durer des heures.

Hikari et les jumeaux avaient fini par dégeler et avaient filé toutes voiles dehors en direction de Thalia pour l'aider à relever Cal. Un murmure s'était élevé, puis, dans un effet papillon, c'est un véritable brouhaha qui avait fait fureur. Thalia avait fermé les yeux face aux doigts pointés sur elle, et avait tenté de rester imperméable à la rumeur qui s'était répandue comme une traînée de poudre : celles d'antiques dons renés de leurs cendres : ses dons.

Laissant le blessé aux bonnes mains de ses véritables amis, Thalia s'était écartée pour jeter un œil autour d'elle. C'est alors qu'elle croisa l'intense regard d'Ernesto, un échange à lui glacer le sang. Dans ses orbes noires elle ne rencontra pas sa caractéristique arrogance, ou bien sa basse mesquinerie. Non, il y avait cette fois quelque chose de beaucoup plus profond, de terrifiant.

Alors qu'elle déglutissait, un grand homme vint fendre la foule unanime, véritable mer aux pieds de Moïse. Akihiro Takuro n'avait plus rien du sympathique directeur que Thalia avait rencontré la veille. Il balaya son regard tranchant sur le terrain massacré et jeta un œil circonspect aux tas de gravier encore fumants. D'un geste du poignet, paume vers le sol, il fit retourner dans les entrailles de la terre les pics rocheux que les élèves avaient instinctivement fait jaillir pour se protéger de la déflagration.

Le silence se fit, les vapeurs se dissipèrent et Takuro ordonna brièvement au groupe au cœur du chaos de le retrouver dans son bureau lorsqu'il en aurait fini avec Martinez. Il dispersa d'un regard la foule, qui ne se fit pas prier, et tourna les talons. Hikari chuchota à l'oreille de Thalia qu'elle n'avait jamais vu son père dans un tel courroux.

Les jumeaux soutenaient Cal qui claudiquait avec peine, dodelinant de la tête. Il gardait ses yeux rivés au sol, ou peut-être étaient-ils fermés. Ses cheveux sombres étaient ternes et plus en pétard que jamais. Sa peau noircie par endroits était pourtant miraculeusement restée intacte. Son entente avec le soleil le rendait insensible à la brûlure physique des flammes et pourtant tout son fluide énergétique avait quitté son corps et le laissait dans un état de semi-conscience.

Thalia relaya son inquiétude dans un coin de sa tête pour se concentrer sur Hikari qui était déjà loin devant. Elle courut la rejoindre pour emprunter les escaliers mouvants jusqu'à l'aile du directeur. Les deux jeunes femmes, ébranlées, patientèrent devant la lourde porte noire de la tour jusqu'à la sortie d'Ernesto qui fumait littéralement de rage. Il leur adressa un regard véhément avant de prendre le couloir en claquant les talons, la tête haute, leur cédant le passage.

La fille du directeur et son amie trouvèrent l'homme à son bureau, les coudes sur la table et les mains en éventail devant lui, le bout de chaque doigt appuyé contre son équivalent. Son menton s'enfonçait sur ses indexes joints et il ne quitta pas du regard le point invisible qu'il fixait avant leur arrivée.

- Monsieur, finit par souffler anxieusement Thalia.

Celui-ci resta de marbre. Seuls ses lèvres finirent pas se mouvoir.

- Alors comme ça ton père avait vu juste... marmonna-t-il. Explique-moi ce qu'il s'est passé lors de la déflagration.

- Je regrette mais je ne saurais que vous dire, déglutit Thalia. C'est allé très vite, j'ai levé les bras par pur instinct de survie, sans doute un peu à la manière de Caliban que j'avais vu faire un peu plus tôt et... me voilà.

- Tu peux remercier le ciel des dons qu'il t'a offert, sans eux tu ne serais probablement plus parmi nous à l'heure qu'il est.

Il leva enfin les yeux vers son interlocutrice et posa les mains à plat sur la table. Il se pencha lentement vers elle.

Céleste (en pause) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant