XVII - Les mémoires de Cal

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Les journées de Cal ne semblaient durer que des minutes. Son feu intérieur le dévorait petit à petit, alors qu'il refusait de se laisser mourir. Il ne partirait pas tant que l'Académie ne serait pas sauvée. Il devait y avoir un moyen.

Cal frictionna son renard entre les oreilles avant de se lever. Timivos s'ébroua, prêt à le suivre, mais Cal lui intima de retourner dans la forêt. L'aminal ressentait les tourments de son compagnon, et sa lente agonie. Ils l'affectaient lui aussi, et il n'était plus le renard bondissant et joueur d'autrefois. Il se frotta à ses jambes, lui transmettant son amour et son soutient.

— S'il te plaît Timi, je dois rentrer, et tu ne peux pas me suivre, chuchota Cal.

La queue de l'aminal s'abattit au sol, de dépit. Il observa son partenaire disparaître parmi les arbres avant de s'en aller à son tour, ses longs poils de feu traînant dans la poussière. Cal savait que Timi mourrait de sa perte, il avait lu sur les aminaux des ouvrages qui affirmaient que plus le lien était fort et ancien, moins il y avait de chance que l'un survive à l'absence de l'autre. Il était plus facile pour le Céleste de survivre au trépas de son aminal, car même s'ils étaient plus sensibles que les Ordinaires, leur vie dépendaient d'autres attaches extérieures, comme les relations humaines, les projets, les passions,... Pour l'aminal, il n'y avait rien de plus important que son compagnon, car les aminaux étaient des créatures uniques qui ne pouvaient se reproduire et fonder une famille.

Ce savoir donnait à Cal la rage de trouver les réponses à ses questions. Il refusait de condamner son plus fidèle ami depuis maintenant plus de quatre ans à une mort qu'il ne méritait pas.

Il traversa la cour comme une ombre parmi les statues de pierre. L'Apprentissage avait débuté, et il était certain de trouver les parcs et les bâtiments de vie complètement déserts. Quelque part dans l'Académie se trouvait forcément les réponses à ses questions, et il était bien décidé à trouver ce lieu. Il poussa la porte de l'antre des Solaire, d'une main qu'il n'avait jamais eu besoin de chauffer pour actionner le mécanisme. Il longea les fauteuils autour du foyer, et du bout de ses doigts brûlants, réveilla la frise aux chauds motifs qui parcourraient les murs. Il atteint une porte particulière, celle qui donnait sur le donjon central. Là était le seul lieu du bâtiment où pouvaient se rencontrer Solaires et Lunaires, même s'ils ne pouvaient pas traverser la porte du camp opposé.

Cal se retrouva dans une large pièce ronde, dont la forme avait épousé sans contraintes celle de la tour. Les hautes étagères, couvertes de livres de tous les âges, étaient arquées pour suivre harmonieusement l'architecture. Il y avait ça et là un escabeau à roulette, qui permettait aux Célestes d'atteindre les écrits les plus en hauteur. Au centre de la pièce, il y avait un espace agréable où étaient disposés coussins, tables, chaises et fauteuils. Tout était désert, il n'y avait là plus qu'une odeur de papier ancien et de cire de bougie.

Cal avait, à son avis, parcouru tous les ouvrages de la pièce principale. Ce qu'il était venu chercher, c'était les pièces secrètes. Il prit une grande inspiration, ferma les yeux, explora les alentours à l'aide de son esprit. Mais les passages secrets de l'Académie étaient dissimulés magiquement, et il craignait que ce camouflage masque jusqu'au passage récent d'un Céleste. Il ne trouva rien, comme toujours. Il tâtât le sol, les murs, les livres, le bois, à la recherche d'une anomalie, mais tout semblait en place.

À court d'idées et d'espoirs, les mains dans les poches, il se dirigea vers une étagère qu'il connaissait bien. Il la poussa de toutes ses forces sur le côté pour qu'elle laisse apparaître un mur qu'il avait découvert des mois auparavant. Il parcourut sa surface du bout des doigts, les sens en alerte. Lorsque sa peau rencontra la minuscule fissure, celle-ci commença à s'allonger jusqu'à devenir une ouverture suffisamment grande pour qu'un corps fin et agile comme le sien s'y glisse. La brèche se referma derrière lui, à la manière d'une plaie que l'on recoud.

Il devait faire vite, pour ne prendre aucun risque d'être découvert. Le noir dans la minuscule pièce était total, mais Cal le connaissait parfaitement. Il fit deux pas bien calculés, tendit le bras et rencontra un bougeoir. Une bougie déjà bien entamée mais toujours utilisable y était installée. La mèche s'enflamma dès qu'il l'eut frotté des doigts, diffusant une leur chaude et vacillante dans la cache. Devant Cal se trouvait une table de bois usée, à la surface encombrée seulement d'un encrier et d'une plume. Il n'y avait guère plus d'espace ici que pour ce support et une chaise. Cal l'écarta de son passage et s'agenouilla devant le meuble. Il souleva une fine dalle du sol de pierre et en tira un livre.

Il ne s'agissait pas de n'importe quel ouvrage, puis qu'il tenait là sa propre œuvre, ses mémoires.

Il repositionna la dalle et s'installa à la table. Il ouvrit le livre et saisi la plume. Il décapuchonna l'encrier, y trempa la plume, retira l'excédent d'encre. Il prit une inspiration et se mit à écrire. Il y avait ici le récit de sa vie passée. Il était temps de mettre sur le papier tout son savoir sur son anomalie et de le destiner à un Céleste, un jour, un Céleste qui, comme lui, serait condamné à la mort par son propre élément.

Durant plus d'une heure, il ne cessa de gratter les pages jaunies.


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⏰ Dernière mise à jour : Nov 28, 2018 ⏰

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