Du bout du doigt, je caresse la chair douce d'un pétale de rose. Tombé de la fleur sur la table, il commence déjà à faner un peu, le brun de ses contours abîmés conquérant lentement son blanc quelque peu rougi.
Deux sonneries retentissent, une brise entre dans la boutique. Distraitement, je relève la tête pour regarder la personne qui vient de pousser la porte de notre magasin de fleur familial. Et je retiens un cri.
Avec son pantalon déchiré, sa veste en cuir trop grande, ses lunettes de soleil et sa tignasse relevée en un chignon, il fait particulièrement tâche au milieu de toutes les fleurs délicates et parfumées qui décorent notre petite boutique. Mais, étrangement, l'odeur de la cigarette qui fume entre ses lèvres se mêlent plutôt bien à celle, musqué et légère, des plantes, quand ce mélange de senteur arrive à mon nez.
« Chérie, tu veux bien t'occuper du client, s'il-te-plaît ? »
La voix de ma mère retentit à l'étage, alors que je garde mes yeux fixés sur le cliché ambulant que, les mains fourrées dans les poches, jette un coup d'œil à tous les végétaux qui l'entourent.
Prenant une grande inspiration, je me redresse un peu sur ma chaise. Peut-être qu'il est ici par hasard. Peut-être qu'il ne me reconnaît pas, qu'il ne se souvient même pas de moi. Après tout, je n'ai jamais appelé ce numéro. Pas depuis les deux semaines qu'il me l'a donné, du moins. Qu'est-ce que j'aurais bien pu dire... ?
Alors il m'accompagne tous les jours, caché, à l'abri dans mon livre de poche que j'ai déjà lu trois fois, mais que je garde sur moi comme un petit trésor.
« Bonsoir, je peux vous aider ? Je me décide enfin à demander, le cœur bâtant la chamade. »
Il baisse alors les yeux sur moi, comme surpris que je lui adresse la parole. Puis, s'approchant, il vient poser ses mains sur la table à laquelle je suis assise, se penchant sur celle-ci, tandis que je recule imperceptiblement dans mon siège.
« Ouais, tu peux... Figure-toi qu'il y a quelques jours, une fille avec une vraie gueule de chaton m'a demandé l'heure dans une bibliothèque très clairement équipée d'horloges. J'ai compté, il y en avait trois dans la pièce. »
Je suis très clairement grillée. Instinctivement, je meurs d'envie de baisser les yeux et de me cacher sous la table. Mais quelque chose dans son regard y fige le mien, m'empêchant d'en détacher les yeux sous quelque prétexte que ce soit, lui laissant tout le loisir de continuer à parler.
« Alors je me suis dit qu'elle essayait d'établir le contact, tu vois ? Continue-t-il avec une moue, haussant les épaules comme si c'était l'histoire la plus banale qu'il aie jamais du raconter. Donc, quand elle est partie la queue entre les jambes avec les joues toutes rouges, je l'ai suivie et je lui ai filé mon numéro. Mais elle a toujours pas appelé... Tu crois que je me suis gouré dans l'interprétation ? »
J'avale difficilement ma salive. Qu'est-ce que je peux bien rétorquer à ça, quand la réponse est si évidente ?
« Comment tu... tu as su que je travaillais ici ? »
Ceux sont les seuls mots qui émergent de mon esprit embrumé, les seuls mots qui franchissent ma gorge enrouée, les seuls mots que prononcent mes lèvres desséchées.
« Y avait ton nom sur la première page du bouquin. J'ai une putain de mémoire. »
Des bruits de pas retentissent alors dans l'escalier, et j'écarquille les yeux : ma mère descend. Et, ça n'a peut-être aucun sens, mais je ne veux absolument pas qu'elle me surprenne ici avec ce garçon tout droit sorti d'une série pour adolescents. Alors je me lève brusquement et le pousse vers la sortie sans attendre. Il ne résiste pas vraiment, semblant comprendre le problème, alors que je l'entraîne à l'angle de la rue, là où elle ne pourra pas nous voir.
« Ouh... On cache le vilain garçon à sa maman, rit-il, visiblement moqueur. »
Je fronce les sourcils ; il n'y a que lui que ça amuse. Puis, croisant les bras, je tente de retrouver une contenance, le menton levé, l'air sérieux. Mais le regard qui pose sur moi, regard intéressé mais certainement pas effrayé qui descend de mon visage à mon corps, me laisse deviner que mon attitude n'a pas l'effet escompté. Et quand je le vois jeter un coups d'œil à mes jambes nues, je ne peux m'empêcher de tirer un peu ma jupe vers le bas, comme si cette action pouvait cacher quoique ce soit. Ça le fait sourire.
« Je ne veux plus que tu viennes ici... »
Il ne s'offusque pas de ces mots, hochant la tête. Est-ce qu'il a l'habitude que les filles essaient de le cacher à leurs parents ? Je n'aime pas le mot, mais Jackie n'a pas tort : il a l'air d'être un vrai queutard.
« Ok, file-moi ton numéro et je ne t'embêterai plus.
- Quoi ? Pourquoi ?
- Tu crois que je t'ai retrouvée juste pour t'embêter ? T'es mimi, avec tes joues toutes rouges et ta petite bouille. »
Avec une moue, je serre les dents, regardant rapidement à ma droite et à ma gauche, pour être sûre que personne ne nous observe. Mais l'entente de mon nom, appelé par ma mère à l'autre bout de la rue, me laisse à penser que je n'ai plus beaucoup de temps avant qu'elle ne vienne jusqu'ici.
« Si je te donne mon numéro, tu promets de ne pas revenir ?
- Tu dis ça comme si tu ne voulais pas me revoir !
- Chérie, où tu es passée ? »
Un peu affolée d'entendre la voix de ma mère se rapprocher, je retire la cigarette qui tient, sans doute par la seule volonté de Dieu, entre ses lèvres et retire d'un coup sec le stylo qui gardait jusqu'à maintenant mes cheveux relevés dans un chignon négligé.
Dix chiffres écrits à la vite sur le crache-poumons plus tard, je lui redonne celui-ci, avant de me dépêcher de repartir vers la boutique de fleuriste, devant laquelle ma mère m'attend.
« Ah, tu es là ! Qu'est-ce que tu faisais dehors ?
- J'étais allée prendre l'air deux minutes ! »
Et, sur ce mots, je rentre dans le magasin, tandis que le bruit d'une moto qu'on démarre résonne derrière moi et que, baissant la tête, je souris un peu, me mordant la lèvre.
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TOUCH ME - tome I
Short Storyil bastardo & the soft girl ou l'association clichée qu'on a déjà vue 20000 fois, mais après tout, qu'est-ce qu'on aime le bad boy et la good girl, même une fois de plus