Le périple de Thorn

Asraya

Il fit ainsi un périple sur plusieurs arches consécutives à l'aide de moyens de transport de fortune. Comme à son habitude, il restait taciturne aussi on le laissait tranquille, chacun se faisant sa propre idée sur la langue ou l'origine du voyageur à l'allure patibulaire. À part l'aller et retour sur Anima, il n'avait jamais été aussi loin de son arche. Il observa des populations très diverses, aux couleurs de peaux et d'yeux, morphologies et tenues vestimentaires étonnantes. Il découvrit des monuments et des traditions qui lui étaient inconnus. Mais ne trouvait jamais de réponses à ses nombreux questionnements.

Thorn avait prévu de faire le tour de quelques petites arches secondaires. Il pilotait ce jour-là un aquilon acheté à un commerçant peu scrupuleux et trop heureux de se défaire à prix d'or de son engin volant délabré. Les curseurs du tableau de bord étaient défectueux et ses cartes obsolètes. Il fut surpris par la nuit sans trouver où se poser. Le tonnerre se mit à gronder et des éclairs illuminaient les nombreux nuages. Une bourrasque emporta le tacot comme une feuille et Thorn ne put maintenir le cap. Les ailes se déchirèrent et il s'écrasa avec son aquilon sur une plage d'une toute petite arche perdue.

Les habitants du hameau local découvrirent Thorn au petit matin, inconscient, aux côtés des restes de son engin volant. Ils le portèrent chez Cikitsaka et sa femme qui restèrent à son chevet.

Il était fiévreux et délirait. Dans ses délires il voyait Ophélie tenir tendrement l'enfant de Berenilde dans ses bras. Archibald s'approchait d'elle et l'enlaçait amoureusement. Puis Ophélie se transformait en Baron Melchior avec les mêmes gestes désarticulés de Dieu.

Lorsqu'il reprit connaissance quelques jours plus tard, ses deux hôtes l'avaient soigné avec dévouement. Ils s'étaient appliqués à redresser sa jambe meurtrie à l'aide d'une attèle en bois. Ils avaient désinfecté avec patience les blessures dues à son récent accident mais aussi celles plus anciennes infligées par le clan des Mirages. Elles s'étaient fortement infectées par manque de soins et de traitements adéquats durant ces longues semaines d'errance.

Cikitsaka paraissait sans âge, complètement imberbe, les yeux malicieux et le sourire franc. Il portait une tunique très colorée et un bonnet conique en toile tissée.
Durant les longues heures de convalescence et de soin, Thorn l'écoutait silencieusement. Il raconta qu'il était métisse, de Babel par son père et de Totem par sa mère. Totem est l'arche de Venus maîtresse des animaux. Babel, était l'arche de Hélène et Pollux, maîtres des sens. Il avait été durant sa jeunesse sur Babel un assistant d'apothicaire ce qui expliquait ses connaissances pharmaceutiques. Cependant il n'était pas bien vu sur cette arche qu'un sans-pouvoir possède de tels acquis et les utilise, aussi il décida de tout quitter et découvrir d'autres manières de soigner. C'est sur cette petite arche secondaire, qu'il rencontra sa femme et décida d'y rester par amour.

Sa femme, Taja est issue de l'arche de Fama appelée la Sérénissime. Elle devait avoir été très belle dans sa jeunesse. Cheveux de jais, quelques rides du sourire marquaient son teint très foncé et trois points d'ocre ponctuaient son front. Elle était calme et avait un regard intelligent.

Cette arche atypique sur laquelle la providence avait amené Thorn portait le nom d'Asraya.
Les habitants étaient pauvres et chacun vivait de l'aide des autres, en autarcie. Tout était collectif. Ils décidaient de tout, ensemble et ne possédaient presque rien de personnel à part quelques vêtements, meubles et outils. Ils étaient tous originaires d'arches différentes. Il y avait juste certaines règles à respecter: Tolérance et honnêteté. On ne tue ni ne mange les animaux, ce qui décontenança quelque peu le nouvel arrivant. Pas de miroir, pas de vanité, pas d'apparat. Pas d'arme et pas d'argent. Il n'y a pas non plus d'esprit de famille ni de religion. Chacun étant l'esprit de tous et tous l'esprit de chacun.