L'estropié

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Un jour, Sumisu, le forgeron de l'arche s'est présenté à lui. Malgré sa stature assez frêle cet homme avait étonnamment une assez grande force physique. Il avait les yeux en amande et le regard perçant. Comme Thorn, il était peu bavard mais quand on le questionnait sur son métier il s'emportait en explications interminables. Il était très ingénieux et proposa à Thorn de concevoir une attèle amovible afin que sa jambe meurtrie puisse être mobile sans être désaxée. Cet appareillage s'apparentait à une petite machine, composée de rouages, de boulons de serrages et de sangles de lin. Sumisu était fier de son œuvre et que ses talents souvent sous-exploités puisse enfin servir à un usage aussi valorisant.

Sa mobilité assurée, Thorn s'entraîna à marcher avec cette nouvelle prothèse d'abord quelques pas puis de plus en plus loin chaque jour. Ainsi il découvrit petit à petit l'arche sur laquelle il était tombé. La nature y était luxuriante et généreuse et le temps clément. Les maisons sur pilotis étaient fonctionnelles et avaient un certain charme rustique. Thorn commençait à apprécier cette façon de vivre en toute simplicité et sans aucun artifice. Ici, personne ne jugeait son passé ni sa naissance.

Afin de pouvoir remercier de l'hospitalité de ses occupants, Thorn devait trouver des activités qui aideraient la communauté. Il n'avait pas encore assez récupéré de force pour faire de lourds travaux manuels. Il s'occupa donc du partage des vivres et géra le troc avec le monde extérieur pour obtenir des biens qui ne se trouvaient pas sur l'arche, comme les pierres à feu pour les briquets, certains métaux ou le sel. Il améliora également les plans d'irrigations des champs et rizières et établit le calendrier des tournantes des cultures grâce aux souvenirs de livres qu'il avait lu plus jeune. Il apportait ainsi à sa manière sa petite pierre à l'édifice.

Au fur et à mesure de ses interventions, il fit connaissance des différents habitants. Pour eux, il était le nouveau, l'estropié. Il les intimidait par sa taille, sa voix grave, son regard gris glacial et son accent rude. Il forçait le respect par ses compétences. Et faisait parfois sourire les plus jeunes par ses cheveux sombres qui se décoloraient tout seuls, sa barbe fournie non soignée et sa méconnaissance des mots et des coutumes locales.

Les rares moments de pause, il s'entraînait à son nouvel animisme balbutiant et maladroit, ce qui lui permit de réparer ses premiers objets. Ainsi, le tisserand lui proposa de nouveaux vêtements pour le remercier d'avoir réparé son métier à tisser. Et la fille d'un paysan lui tailla la barbe et coupa ses cheveux, maintenant redevenus blonds, en échange de cours de calcul.

La nuit, les idées de Thorn reprenaient leurs cours. Il repensait à la Citacielle. Il ne retournerait probablement plus jamais sur le lieu de son enfance. Il y avait vécu, sommes toutes, que des moments désagréables, où tout n'était que tromperie, manipulation et pouvoir. Il n'avait connu que cela autour de lui jusqu'à ce qu'il la rencontre et qu'elle lui démontre à ses dépends qu'il avait un cœur qui n'attendait qu'à être réveillé: Ophélie, à qui il avait osé avouer ses sentiments.

Il se sentait responsable de tout ce qu'il lui était arrivé. S'il n'avait pas été la chercher sur Anima...
Il s'en voulait d'avoir tant douté d'elle et n'avait vu que trop tard quelle femme elle était vraiment: déterminée, sincère, loyale, pudique et très courageuse.
Mais elle ne l'aimait pas, il en est était sûr, il n'avait pas oublié ses mots, ses regards ni sa gifle! C'était mieux ainsi sinon quelle vie aurait-il eu à lui offrir maintenant?

Il avait failli la perdre plusieurs fois. Il était arrivé juste à temps pour la sauver des forces mentales du Baron Melchior. Ensuite, c'est elle qui était venue à son secours et avait tenu parole en l'épousant afin qu'il hérite de son don de lecture.
Il lui devait la vie et bien plus encore. Il restait son époux

Le périple de ThornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant