Lazarus

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"32.197 secondes et nous prenons le thé assis dans des canapés avec un ridicule vieil homme, son fils prostré et Ophélie juste à mes côtés. Garde tes griffes"

La tension était palpable.

Lazarus joua carte sur table et avoua d'emblée qu'il connaissait Dieu, sans en prononcer le nom, et qu'il travaillait pour lui depuis longtemps. Dieu l'avait recruté alors qu'il n'était encore qu'aspirant virtuose et lui avait offert des moyens considérables pour explorer le monde. En contrepartie, il devait observer pour lui tout ce qu'il jugeait digne d'intérêt.
"Ainsi, Lazarus est l'espion de Dieu."

Le fanfaron but une gorgée de thé puis repris son monologue.
Il y a quelques années Dieu lui a confié une nouvelle mission et de nouveaux moyens pour y parvenir. Il devait trouver Arc-en-Terre. Il évoqua avec une pointe de déception la Mère Hildegarde qui avait disparu avant qu'il ne puisse la rencontrer.

- Elle s'est désintégrée, l'interrompit Thorn, la mâchoire serrée.
" ... à cause de vous, parce que vous la harceliez, parce que Dieu convoitait son pouvoir familial et parce qu'elle a préféré se sacrifier plutôt que de le rendre plus nocif qu'il ne l'est déjà."

Thorn s'aperçut qu'Ophélie lui offrait un regard plein de compassion. Cela eut pour effet immédiat de baisser un peu la pression qui s'était accumulée dans ses membres trop crispés et à l'étroit dans ce canapé ridiculement trop bas.

Le petit homme maniéré continuait à blatérer sur le bien fondé des œuvres de son employeur et sur la grandeur de sa cause. La sincérité et la crédulité de cet homme étaient telles qu'elles donnaient presque la nausée.

Il demanda à Thorn comment il était passé d'intendant en disgrâce à Lord de LUX.
- Je suis missionné par les Généalogistes. Adressez-leur vos questions. Lança Thorn qui estimait préférable de couper court à cette conversation.
- By Jove, je m'en garderait bien! S'esclaffa Lazarus. Et d'expliquer que ni eux, ni lui ne se  révélaient mutuellement ce qu'ils savaient. Il termina en avouant qu'il était plutôt concerné par le sort de son épouse plutôt que celui de Thorn.
"Garde tes griffes Thorn, ta femme est près de toi et elle doit déjà ressentir les effets de ton pouvoir."

Ophélie prit la parole et demanda à Lazarus en quoi son sort le concernait.
Il l'accusa ouvertement d'avoir brisé l'équilibre du monde.
"Rien que ça !" Songea Thorn perplexe.

- Ne la dénoncez pas, murmura Ambroise qui était resté jusque là impassible. Tous se tournèrent vers lui.
- Ne la dénoncez pas. Elle... Elle m'a prêté assistance. Je me suis fait la promesse de l'aider en retour.
Le fils expliqua qu'il avait été à la recherche de l'écharpe, qu'il comptait lui rendre avec ses affaires  mais que l'arrivée intempestive de son père avait perturbé ses plans.

Le père interrogea le fils:
- Cette jeune lady, qui crois-tu qu'elle soit, exactly ?
- Celle qui provoquera l'effondrement des arches, souffla-t-il d'une toute petite voix, visiblement très écrasé par son père.

Lazarus plus que surpris se mit à dévisager Ophélie d'un air intéressé.
- Je ne suis pas l'Autre, protesta Ophélie.
- Elle n'est pas l'Autre, maugréa Thorn.

Lazarus compris alors qu'elle n'était effectivement pas l'Autre mais celle qui l'avait libérée:
- Vous êtes aussi une inversée!

Thorn tendit avec autorité le pommeau de sa canne vers le torse de Lazarus qui, trop enthousiaste, s'était approché un peu trop près de son épouse et de lui-même. Il lui jeta une œillade de chien de garde qui le fit reculer et se rassoir.
"Garde tes griffes"

L'homme expliqua alors qu'Ophélie était comme Ambroise et lui-même : des inversés, qu'ils étaient tous trois réceptifs à certaines choses...

Thorn ne les écoutait plus, trop impatient d'en finir il sortit sa montre.
27.553 secondes.

- Où cette digression nous conduit-elle exactement? L'interrompa-il.

Lazarus leur proposa alors un marché, celui de les laisser partir, en échange elle devait l'aider à retrouver l'Autre qu'elle serait d'une manière ou d'une autre amenée à recroiser.

Au grand étonnement de Thorn, Ophélie accepta sous certaines conditions. Celles d'être libres de toutes initiatives, de récupérer ses affaires et d'avoir à leur disposition un aéronef sur le champs.

Ceci dit, Ambroise se chargea du sac, Lazarus du moyen de transport.

Une fois seuls dans la pièce, Thorn décompressa enfin et rangea ses griffes au plus profond de lui-même. Il fit une grimace en voulant bouger son attèle. Celle-ci n'avait visiblement pas aimé ce surplus de stress.

Ophélie s'inquiéta pour lui mais n'y prêta pas attention. Il était préoccupé. Il n'avait pas apprécié ce marché. Il lui expliqua que les Généalogistes étaient égocentriques et faciles à corrompre alors que Lazarus était un idéaliste.
- J'ai obtenu de lui un aéronef. Ne me sous-estimez pas.
Thorn la regarda de ses yeux de glacier:
- Je ne vous sous-estimerai jamais.

Visiblement émue de sa déclaration, Ophélie renversa son thé froid sur son écharpe.
La maladresse légendaire d'Ophélie, sa franchise et son entêtement! Le coeur de Thorn bien enfoui dans sa poitrine lui criait de lui parler, de l'embrasser, de... mais sa raison l'en empêchait. Ce n'était toujours pas le lieu, ni le moment.

Il osa malgré tout un petit geste qui se voulut discret pour lui témoigner son affection. Il effleura de son genou valide celui d'Ophélie en repensant aux quatre mots qu'elle lui avait dit plus tôt dans la journée. Il sentit alors comme une chaleur lui monter aux joues et, gêné d'une telle inconvenance, détourna le regard de celui qu'Ophélie lui offrait.
- Vous m'avez avertie tout à l'heure qu'il faudra que nous parlions vous et moi. Fit-elle.
- Oui, confirma Thorn avec raideur. ce sera nécessaire, en effet.
- J'aimerais vraiment savoir de quoi il s'ag...

Elle fut interrompue par Ambroise qui lui apportait son sac. Celui-ci tenta de s'étendre en excuses mais le regard incisif de Thorn fit battre en retraite le jeune homme et son fauteuil au bout de la pièce.

Ophélie ouvrit son sac et en sortit le livre de E.D., L'ère des Miracles.
Enfin, ils l'avaient!
Elle le feuilleta avec une certaine fébrilité puis le tendit à Thorn en faisant la moue.
Il le feuilleta à son tour avec attention puis tourna très lentement son regard le plus perçant vers elle.
- Je crois que vous devriez lire attentivement... jusqu'au bout.
C'est alors qu'elle découvrit cette mention manuscrite:

En attendant des jours meilleurs,
Mes chers enfants.
Eulalie Dillieux.

"Dillieux... comme Dieu.
L'Autre en elle. Celle dont elle lui avait parlé et dont il avait osé douter."

L'aéronef fut annoncé, interrompant les pensés de Thorn et visiblement aussi celles d'Ophélie.

Le périple de ThornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant