Les confidences

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La cérémonie d'inauguration du catalogue approchait, elle aura lieu le même jour que la collation des grades. Les préparatifs allaient déjà bon train dans le Mémorial. Dans le grand atrium, des automates étaient en train de manœuvrer une grue pour installer un gong monumental.

Après une nouvelle nuit difficile, Thorn se leva rempli de doutes.
En plus de ses pensées contradictoires pour Ophélie qu'il ne pouvaient plus contrôler, s'ajoutaient celles des Généalogistes à qui il allait très bientôt devoir rendre des comptes. Et lui les comptes, il les aimait justes. La nuit ne lui avait pas porté conseil, il n'avait trouvé aucune nouvelle piste pour dénicher LE livre.
En attendant, faute de pouvoir régler l'un et l'autre problème, il trouva préférable d'avancer sur le catalogue qu'il était censé bientôt terminer. Ainsi il se rendait utile, occupait ses mains et son esprit et justifiait le travail que lui fournissait tous les groupes de lectures qui s'esquintaient pour lui depuis des mois.

En fin de journée, il s'était résolu à dire à Ophélie ce qu'il avait décidé pour les Généalogistes. Il voulait également lui parler d'autre chose, de ce qu'il n'avait toujours pas osé. Mais dès qu'il s'agissait de parler de lui, les mots restaient coincés dans la gorge. Il n'aimait pas l'idée de se dévoiler, encore moins sans être certain que l'autre soit prête à l'entendre. La seule fois où il l'avait fait, il y a trois ans déjà, ils avaient été interrompus et elle n'en avait plus jamais fait allusion. Comme si ces mots n'avaient pas comptés pour elle, comme si ce qui s'était passé ensuite avait tout effacé. Aurait-elle pu oublier cela? Lui en tout cas n'oublia pas. Il n'oubliait jamais rien. Il avait plein de questions encore à lui poser, et souhaitait tant que leur "collaboration" en soit plus qu'une.

Lorsqu'on frappa à la porte, il était résolu à en finir. Il se tenait droit comme un i, les mains derrière le dos, les phrases prêtes dans sa tête.
Mais ceux qui entrèrent ne furent pas attendus. Octavio et sa mère, le regard fier et un demi sourire de vengeance se dessinant sur son visage d'habitude si rigide.
- La connaissance sert la paix, claironna-t-elle accompagnée de son fils moins enthousiaste.
Thorn, stoïque de surprise ne dit rien.
- L'apprentie Eulalie n'ayant pas daigné nous faire honneur de sa présence lors de sa séance de lecture et ce sans aucune explication — ce qui est pour moi une faute grave — je me vois dans l'obligation de vous proposer les bons soins de l'apprenti Octavio pour vous seconder. Elle claqua les talons et partit tête haute sans plus d'explications.

Thorn regarda hagard la porte
se refermer et Octavio qui regardait ses pieds.
Où était Ophélie? Il alla vérifier que la porte était bien close.
- Apprenti Octavio, savez-vous où se trouve l'apprentie Eulalie?
- Non, Sir.
- En êtes-vous sûr? Demanda Thorn en le regardant droit dans les yeux. Après tout, il est le fils de Lady Septima et celle-ci n'avait surement pas aimé la façon dont elle avait été rejetée du Secretarium la veille. Il ne pouvait que bénéficier de la place vacante.
- Oui, Sir. Ne la voyant pas dans le groupe de lecture, je l'ai cherchée mais elle n'était ni aux toilettes ni dans les salondenvers.
- Vous l'avez cherché? Et dans quel intérêt?
- Par souci d'équité.
- Comment cela?
- La remise des grades est pour bientôt et... je ne voudrais pas qu'une élève ne puisse les obtenir à cause des... bêtises de ses condisciples. Et je... voulais être certain qu'il ne lui était rien arrivé de mal. Ajouta-t-il en rougissant légèrement.

Thorn ne s'attendait pas à voir ce petit jeune homme au bijou de visage étincelant rougir en parlant d'Eulalie. Il fronça un peu plus les sourcils. Des idées virent se bousculer dans sa tête. Ophélie et... Octavio? Et si il ne la pas trouvé, où est-elle? Pourquoi lui a t'elle désobéi en ne faisant pas profil bas devant ses supérieurs?
Octavio profita de ce silence pour scruter le Lord qui lui faisait face et le 'visionner' plus amplement.

Thorn s'en rendit compte et repris son interrogatoire:
- De quelles bêtises faites-vous allusion?
- Sir Henry... Hésita-t-il un instant.
- Je vous écoute. Dit Thorn en croisant les bras et se redressant de toute sa hauteur.
- La vie à la Bonne Famille peut être très... difficile pour certains élèves.
- Surtout quand on n'est pas fils de Lord, cingla Thorn.
- Oui, répondit-il en serrant les dents. Il prit une grande inspiration.
- J'ai découvert que des filleuls d'Hélène lui menaient particulèrement la vie dure. C'était parfois des blagues de mauvais goût comme lui renverser de l'encre, ou plus retord comme lui confisquer ses gants de liseuse...
Voilà pourquoi elle avait des gants tout neufs pensa Thorn. Laisser une liseuse sans gants est plutôt cruel.

-... Mais j'ai aussi observé sur ses bras et son dos une multitude de coupures qu'elle ne pouvait s'être occasionné elle-même.
"Comment? Seraient-ils si intimes qu'elle lui ait montré... Non, Thorn ne laisse pas ta jalousie envahir tes pensées. Garde tes griffes" pensa-t-il en s'éloignant de lui.

- Serait-il possible, selon vous, qu'un de ces élèves malveillants puisse être à l'origine des "accidents" de Miss Silence et de l'apprentie Mediana?
- Je ne le pense pas. Un accident similaire, comme vous dites, a eu lieu bien avant l'arrivée de notre division. C'était avant la saison. Un homme bien connu du Mémorial pour ses recherches sur l'ancien monde.
- Lady Septima est-elle au courant de ce qui se passe parmi les filleuls d'Hélène?
- Je l'ignore mais son aversion pour les non-babéliens est telle que cela ne m'étonnerait pas qu'elle ferme volontairement les yeux.

Il pensa alors que ce jeune homme avait beaucoup de cran pour critiquer ouvertement la Belle Famille et sa propre mère devant un membre de LUX.
- Pourquoi me dites-vous tout cela? Je suis un Lord et je pourrais le signaler.
- Parce que vous n'êtes pas comme les autres Lords, je le sens. Vous n'avez pas comme eux l'ambition de l'argent, du pouvoir ou de la gloire. Vous... Vous êtes comme elle!
- Que voulez-vous dire?
- Vous savez que je suis né d'une famille de visionnaires et mon... don est assez sensible à la nature humaine. Or Eulalie n'est pas une personne ordinaire. Il s'arrêta et lança un regard à Thorn qui se voulait implorant.
- Continuez, ce que vous direz ne sortira pas d'ici.
- Vous savez, je ressens quand on ment, or tout le monde ment, dit-il en regardant Thorn dans les yeux. Mais même si elle me semble trouble et je sais qu'Eulalie cache beaucoup de choses, je ressens en elle une quête qui est bien au-delà des éperons ailés et du statut de virtuose.

Ils se regardèrent un moment, tous deux surpris de ce qui venait d'être dit.
Thorn inspira profondément pour reprendre ses esprits. Ce jeune homme n'était vraiment pas celui qu'il croyait être. Il glissa sa main dans sa poche, en sortit sa montre qui le désignait toujours de ses aiguilles folles, la remit en place en haussant les épaules et regarda les horloges.
- Je suis attendu, le dirigeable sera bientôt là. Pouvez-vous expertiser les trois manuscrits qui se trouvent dans le salon de consultation en bas pour lundi soir?
- Et bien entendu rien de tout ce qui s'est dit ce soir ne sortira de cette pièce. Bonsoir.

Il alla dans sa loge se rafraichir et se changer. Il enfila sa tunique impeccable de Lux, sortit du Secretarium et traversa le Mémorial à grandes enjambées.

Le périple de ThornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant