Sombre soirée

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Il mit à profit son trajet pour essayer de se calmer et se concentrer sur le rendez-vous qui l'attendait. Il ne pouvait se présenter à eux les griffes aux aguets et les yeux rougis de colère. Il tenta comme il pu de pratiquer les exercices de respiration qu'il avait appris sur l'arche d'Asraya, sans trop de succès.

Quand le dirigeable arriva sur le ponton privé du palais des Généalogistes, de gros nuages commençaient à cacher le ciel étoilé. Les palmiers du jardin dansaient au rythme des vents capricieux.
Thorn se fit conduire dans le grand salon d'apparat où l'attendait le couple.
- Voilà donc un demi Dragon bien taciturne! S'exclama la Généalogiste en le voyant entrer la mine grave.
- Votre couverture mettrait-elle votre pouvoir à rude épreuve? Ajouta son mari amusé.
- Bonsoir, fit Thorn. "Surtout ne pas mentir", se remémora t-il en lui-même.
- Nous devons vous dire que nous avons été agréablement surpris de votre capacité à intégrer votre personnage de Sir Henry, dit l'un.
- Oui, votre personnalité à impressionné plus d'un Lord et la réputation de votre assiduité au travail à dépassé les portes du Mémorial. Dit l'autre.
- Merci. Dit simplement Thorn de sa voix caverneuse.
- Où en êtes-vous avec le catalogue ?
"Ne pas mentir"
- Cela avance, les expertises prennent du temps mais l'encodage de toutes les données est en bonne voie.
- Serez-vous prêt pour l'inauguration?
"Ne pas mentir"
- Les équipes de la Bonne Famille et moi-même faisons tout le nécessaire.
- Oui, les avant-coureurs... Ces petits jeunes font des merveilles nous a t-on dit... Ils sont intéressants... Ils gagnent à être un peu plus connus.
"Non, se dit-il intérieurement, laissez-les en dehors de tout çà."
- Et pour ce qui est de notre... accord?
"Ne pas mentir"
- J'ai écarté 8736 manuscrits et documents susceptibles de vous intéresser.
- Et?
- Et il me reste 8 jours pour vous le trouver.

Un petit serviteur toqua et entra dans la pièce.
- Veuillez m'excuser, le conducteur du dirigeable souhaite vous prévenir qu'un orage est en approche et qu'il ne pourra plus prendre les airs ce soir.

Thorn qui ne voulait pas s'éterniser auprès des Généalogistes qu'il haïssait par dessus tout, sauta sur l'occasion qui se présentait pour trouver une excuse et écourter l'entretien.

- Si vous n'avez plus de questions, j'aimerai pouvoir me retirer afin d'avoir le dernier tramoiseaux qui mène au Mémorial avant la nuit.
Le couple, un peu surpris, ne dit rien. Thorn fit un geste de la tête, dit les salutations d'usage et s'éclipsa aussi rapidement que la politesse le permettait.

En sortant du palais, un automate vint lui apporter un parapluie doré.
Les nuages noirs se confondaient avec la nuit. Quelques gouttes commençait à tomber, il se résolut à l'accepter et ouvrit ce parapluie ridiculement petit pour sa grande stature.

Il marchait à grands enjambées dans les rues de Babel. Aucun chat à l'horizon. Tous les babeliens étaient sagement dans leurs maisons.
Il broyait du noir comme le ciel devant ses yeux glacés. 8 jours et puis? 8 jours et puis il devrait quitter cette arche. 8 jours et puis il ne serait plus personne.

La pluie devenait plus abondante, chaude comme une douche mais drue comme des lames. Le parapluie qu'il avait de mal à maintenir face au vent ne lui protégeait que sa tête et une épaule. Il continuait d'un bon pas en évitant les grosses flaques d'eau qu'éclairaient quelques réverbères.

Il repensait alors à la dispute et son amertume s'accentua.
"À quoi bon repenser à Ophélie? Elle ne m'aime pas, elle n'en fait qu'à sa tête sans écouter personne. Elle me traite d'égoïste, moi? Après tout ce que j'ai fait pour elle! À quoi bon me battre encore pour une gamine capricieuse, égoïste, ingrate et têtue?"

Il avait soif, une soif d'autre chose, une soif d'oublier. Il repensât au Bistaro. Il aurait bien aimé ce soir y retourner et commander un de ces alcools illicites bien forts qu'il avait refusé. Mais le tenancier, et peut-être même quelques clients, auraient vite fait de le reconnaître, lui l'étranger qui avait fait irruption dans son bouiboui une nuit avec une attèle et les joues balafrées en demandant de faux papiers.

Le tonnerre se mit à gronder et il ne savait pas qu'elle heure il pouvait être. Il essaya de courir de ses grandes jambes mais son attèle ne suivait pas.
Elle n'aimait pas la pluie, elle non plus. Elle n'aimait ni la chaleur, ni la pluie. Il avait songé à demander à Sir Carlston de lui en faire une autre mais il ne voulait montrer à personne l'ampleur de son infirmité et les questions qui auraient suivi. De plus, l'animisme dont il avait empreint sa jambière ne serait pas passé inaperçu auprès des yeux experts du Lord. Oui, sa jambière se comportait comme lui, se coinçait quand il était fâché, grinçait quand il était nerveux, et ce n'était pas pour l'enchanter car elle lui rappelait chaque jour l'homme qu'il était devenu.

Dans un escalier qui menait au quartier des écoles, il glissa, rata une marche et dégringola jusqu'en bas. Il poussa spontanément un juron Dragon avec son accent du Pôle. Il avait atterri les quatre fers en l'air dans une belle flaque d'eau. Son premier réflexe fut de regarder alentour si quelqu'un avait pu le surprendre dans cette fâcheuse posture. Le parapluie doré gisait plusieurs mètres plus loin, telle une pauvre araignée aux pattes cassées. Il se redressa tant bien que mal en débloquant le mécanisme de son attèle souffreteuse, ramassa la carcasse dorée de son parapluie pour la conduire à la poubelle la plus proche et continua sa route en se frottant son bras endolori.

Le sort s'acharnait sur lui et il était plus que pressé d'arriver au Secretarium.
À son grand soulagement, le dernier tramoiseaux l'attendait, complètement vide. Le conducteur sursauta à la vue de ce Lord de LUX qui faisait irruption dans son véhicule, totalement trempé, les cheveux dégoulinant devant les yeux, la tenue sale aux dorures déchirées mais le regard d'acier que Thorn lui jeta le dissuada de toute remarque.
Il pointa sa carte et alla s'assoir au fond, là où il pouvait étendre ses jambes.

Le périple de ThornOù les histoires vivent. Découvrez maintenant