Ouvre les yeux

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Le sol si dur, si froid, l'odeur de la mort qui a envahi la pièce, la douleur qui me traverse provoquée par l'impact, le poid de son corps sur le mien mais aussi le sang sur la lame de son couteau qui coule sur mon visage, je ne veux pas croire que cette scène est réelle malheureusement tous me ramène à la réalité.

Son visage déformé par la haine et son regard vide perdu dans le passé, je ne peux pas, je ne veux pas que ce soit la dernière image que je vois de lui avant de m'éteindre sous ses coups. Je préfère fermer les yeux et penser à nos moments passés ensemble : Le premier soir de notre rencontre en sortant du centre où il m'a pris la main et essuyé mes larmes, la première fois qu'on est monté sur le toit pour faire voler des avions en papier, cette première nuit chez M Shinohara où il a expérimenté la suture artistique sur mon corps et où j'ai pris conscience de mes sentiments pour lui, notre cohabitation imprévu mais tellement agréable que je n'avais aucune envie de le laisser partir, toutes les fois où il s'est blotti contre moi à discuter parfois durant des heures, sans oublier ce baiser échangé tard dans la nuit après avoir regardé un animé en dévorant des popcorns aussi léger, aussi insignifiant soit il pour lui, qu'importe j'aimerais ressentir de nouveau ses lèvres sur les miennes.

Dans un dernier espoir, je tends fébrilement la main jusqu'à toucher sa joue, la douceur et la chaleur qu'elle dégage me fais frissonner, sous mes doigts ce dessine ses sutures et ses cheveux effleurant le dessus de ma main tel une caresse me rappel à quel point je ne veux pas le perdre. Juuzou réveille-toi... Je t'en prie...

L'écho du métal heurtant le sol se fait alors entendre, libérant mon souffle que je retenais jusque là, et c'est après quelques secondes que sa voix pleine de regret brise le silence qui s'était installé, j'ose alors ouvrir lentement les yeux pour découvrir son visage terrifié et la lueur dans son regard reprendre vie :

- Emi ! Je... Je ne voulais pas, qu'est-ce que j'ai fait... Emi pardonne moi...

Dans un geste aussi soudain qu'inattendu et pour la toute première fois depuis notre rencontre il me prend alors dans ces bras, il me serre tellement fort contre lui que je peine à respirer, ma tête appuyée contre son torse, j'entends les battements de son cœur s'affoler, ce cœur d'habitude si calme, si régulier.

Afin de le rassurer et de lui faire comprendre que je n'ai rien, que je vais bien, je répond à son étreinte en passant mes bras autour de sa taille et en le serrant à mon tour :

- Juuzou, je le sais, je vais bien.

- J'ai eu tellement peur Emi, je... J'ai senti ta main et... Je t'ai vu sous moi, du sang sur le visage, j'avais mon quinque dans la main... Je ne voulais pas... Je ne savais pas... Je...

- Arrêtes, ne dis plus rien... Je t'en prie, je ne t'en veux pas, je suis là, je vais bien.

- Mon cœur bat tellement vite !

Après de longues années, le cadenas qui renfermait son humanité c'est enfin brisé, et en une fraction de seconde ses sentiments qui étaient jusqu'à ce jour éteints ce sont déployés, tel un papillon sortant de son cocon et déployant ses ailes pour la première fois. Alors oui j'ai failli y laisser la vie mais la puissance et la chaleur de ses bras autour de moi ne me fait rien regretter, soulagée, je ne peux retenir mes larmes, je suis tellement heureuse de l'avoir retrouvé :

- Bon retour dans la vie réelle mon Juuzou.

- Ça fait quand même peur d'avoir peur... J'ai vraiment eu peur pour toi... Je ne veux pas te lâcher j'ai trop peur que tu disparaisses....

- Arrêtes de dire le mot peur c'est trop... Bizarre quand ça sort de ta bouche.

On rit alors ensemble fesant retomber la pression accumulée jusque là. Il s'écarte légèrement de moi et pose délicatement ses doigts sous mon menton afin de me relever la tête et de plonger son regard dans le mien, pour la première fois je vois toute sorte d'émotion danser dans l'éclat de ses yeux, si rouges, si beaux. Avec douceur il pose ses lèvres sur les miennes et m'embrasse et ce baiser n'est pas comparable au précédent qui était sans vie, sans passion. Aujourd'hui il m'embrasse avec envie, avec désir mais dans ce baiser je ressens également la peur qu'il a eu de me perdre. À bout de souffle je murmure mes lèvres frôlant les siennes :

- On... On devrait retourner travailler.

Il hésite puis me répond avec un air gêné :

-Enfaîte... J'ai oublié mon quinque... Dans la voiture.

- Je sais, tu as encore foncé sans réfléchir.

- Je suis... Désolé.

Je secoue la tête, le regard vers le ciel et le sourire aux lèvres. Il est irrécupérable.

Ce sont finalement des bruits de pas envahissant les étages qui nous sort de notre moment de tendresse, à la vue des inspecteurs passant devant la porte, nous reprenons alors notre sérieux, enfin je reprends mon sérieux, Juuzou me tire par la main et m'entraîne vers la sortie :

- Dépêche toi Emi, ils vont pas nous en laisser.

- Vu le nombre d'inspecteurs arrivés en renfort, je pense qu'il est trop tard pour s'amuser. Lui dis-je en haussant les épaules avec un air désolé.

- C'est trop injuste... Répond Juuzou en fesant la moue.

Après avoir fouillé l'ensemble du bâtiment, nous en sommes arrivé à la conclusion qu'il s'agissait d'un garde-manger de Ghouls, et malgré notre intervention nous n'avons finalement retrouvés aucun humain encore vivant sur place.

D'un pas lourd, je sors de l'usine et me dirige vers la voiture, après avoir placée ma malette dans le coffre je prends place sur la banquette arrière, Juuzou vient s'installer à mes côtés et M Shinohara prends le volant en direction du centre. L'habitacle est étonnement silencieux, je regarde les immeubles défiler, je n'ai pas la force de parler, je suis tellement déçu de moi-même, je n'ai sauvée personne, il y avait tant de cadavres, tant de vies brisées et pas une seule, pas une seule vie à été sauvée.

Juuzou à mes côtés ne dit rien respectant mon silence, je sens son regard sur moi mais je préfère regarder le paysage qui défile, la déception doit ce lire sur mon visage et je n'ai aucune envie qu'il se sente coupable car rien n'est sa faute. Il glisse alors sa main jusqu'à trouver la mienne et entremêle ses doigts aux miens dans un geste de réconfort. Sa présence et ce geste de tendresse me rappel que je n'ai pas tous perdu aujourd'hui, se fut même un grand pas dans sa vie comme dans la mienne. Je referme mes doigts et serre sa main un peu plus fort puis repose ma tête contre son épaule, il dépose alors un doux baiser sur mes cheveux. Ce côté tendre et protecteur que je ne lui connaissait pas encore m'apaise alors.

Tel un papillon blanc,  pur et insouciantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant