44-Marcel

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[Attention, j'ai posté un chapitre hier, vérifiez que vous avez bien lu le 43 !]

AMY

– On s'est toujours promis de continuer, coûte que coûte. Lorsqu'elle se retrouvait à l'hôpital, sur son lit blanc, je la suppliait de ne pas abandonner, de continuer à se battre... Et ça a marché pendant quarante-sept ans. Le dernier séjour à l'hôpital était vraiment le dernier. Depuis, c'est dur chaque matin de boire mon café seul dans la cuisine, de regarder la télé seul, de n'avoir personne qui m'attende à la maison lorsque je pars acheter mon journal. C'est tellement dur...

La voix du vieil homme aux yeux bleus trembla sur ses derniers mots.

Sa main a quitté mon épaule et a rejoint sa consœur. Ses doigts se croisaient, s'entrecroisaient, se décroisaient... Et ainsi de suite, dans un ballet nerveux, tout en triturant la laine grise de ses mitaines.

– Elle adorait la neige, reprit-il tendrement. C'était les rares jours où elle acceptait de sortir se promener. Elle rajeunissait de cinquante ans, redevenait une gamine émerveillée par les flocons.  Elle dansait au milieu de la rue, en éclatant de rire. Ça attirait le regard des passants, mais elle n'en avait rien à faire. Elle a toujours été comme ça Jeanine, peu lui importait ce que pensaient les gens tant qu'elle était heureuse.

– Comment vous êtes vous senti lorsqu'elle est morte ?

– Je n'ai pas réalisé tout de suite. Même à l'enterrement je n'ai pas pleuré. Je n'arrivais à assimiler. Ça m'est tombé dessus environ un mois plus tard, et là je me suis fait peur. J'ai crié, cassé des objets, encore crié. On s'était battus toute notre vie avec Jeanine, on avait vécu tant de passages à l'hôpital, on s'était donné tant de mal pour empêcher son cœur de flancher, pour rien... J'etais dans une colère folle, j'en voulais à tout le monde. À moi, mais à elle aussi. Elle ne s'était pas suffisamment battue, elle avait abandonné... Elle est morte à soixante-sept ans. De nos jours c'est jeune soixante-sept ans. J'ai finis par faire mon deuil, par pardonner, par comprendre que la mort c'est rarement la faute de quelqu'un en particulier. C'est juste... Une enchaînement d'actions, comme la vie d'ailleurs. Comment savoir si son cœur aurait lâché si elle n'avait pas bu de café ce matin là ? Si elle n'avait pas monté les escaliers aussi vite ce soir là, pressée d'aller dormir ? Si je m'étais réveillé une demi-minute plus tôt quand son cœur a arrêté de battre tout contre le mien ? Comment savoir...

– Comment avez vous réussi à faire votre deuil ?

– Je lui ai écrit. Dans un cahier, j'ai écrit plus de trente lettres. Elle lui sont toutes adressées, dans certaines je lui raconte ma journée, dans d'autres je lui rappelle nos souvenirs... Je ne suis jamais allé lui parler sur sa tombe, je crois que ça me fait encore trop peur. Et puis lorsque nous étions jeunes, nous ne faisions que ça, nous écrire des lettres. Même lorsque nous avons emménagé ensemble, nous aimions nous écrire des poèmes, des mots doux, que nous envoyions à notre propre adresse, rit-il.

Se remémorer ces jolis souvenirs animait le visage de l'homme d'une douceur nouvelle, faisant pétiller ses yeux bleus.

– Je n'ai pas grand chose de plus à te raconter petite... Veux-tu que je t'envoie une des lettres par mail ?

– Ça me toucherait beaucoup, acceptai-je en coupant l'enregistrement.

- D'accord. Je vais te donner mon adresse. Tu note ?

Carry On [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant