1. Au Trèfle d'Or

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Illustration réalisée par nuumouatua

*

Un homme entra dans le café, s'appuya contre le comptoir et salua le propriétaire. Aussitôt, une jeune fille d'une quinzaine d'année se présenta à lui.

— Bonjour, qu'est-ce que je vous sers ? demanda-t-elle en remontant les fines lunettes qu'elle portait sur le nez.

— Un whisky, répondit l'homme de sa voix grave en allumant une cigarette.

Il sortit trois pièces d'argent de son manteau et les jeta presque sur le comptoir. La gamine posa sur la table un verre de la hauteur d'un petit doigt, qu'elle emplit à moitié d'un liquide translucide et doré. Elle remonta une mèche de cheveux châtains derrière son oreille et rangea la bouteille en examinant le client du coin de l'œil. Les cigarettes étaient rares depuis le début de la guerre, cet homme ne devait pas être n'importe qui... tout à coup, un grésillement se fit entendre. Au fond de la salle, un petit bonhomme s'affairait auprès d'un vieux phono-valise posé sur un guéridon en acajou, sous une minuscule fenêtre aux rideaux de dentelle poussiéreuse. La jeune fille accourut à ses côtés et, par une simple manœuvre, arrêta le bruit.

Sarah, merci, balbutia-t-il en français, c't engin de malheur ne voulait pas s'arrêter !

Comment pouvez-vous l'appeler « engin de malheur », Monsieur Marcel ? répondit Sarah. C'est grâce à lui qu'on peut écouter Piaf !

Tu n'as pas tort, avoua-t-il en s'épongeant le front avec un vieux mouchoir en tissu. Il fait une de ses chaleurs ! Hier, Martin m'a apporté un autre disque qui te plaira sûrement. Je vais le sortir.

Monsieur Marcel quitta la pièce principale et revint quelques instants plus tard, une pochette en carton sous le bras. Il souleva le bras du phono-valise et enleva le disque de la platine. Ensuite, il sortit un autre disque de la pochette et le posa délicatement sur la platine ; il posa l'aiguille dessus et commença à tourner une petite manivelle située sur le côté de l'engin. Aussitôt, un un air triste et grésillant s'éleva dans le café. Une femme se mit à chanter d'une voix puissante.

« Sur la route, la grand' route,
Un jeune homme va chantant.
Sur la route, la grand' route,
Une fille va rêvant...

Une fleur à son corsage,
Et des yeux pleins de douceur,
Une fleur à son corsage,
Et des rêves plein le cœur... »

C'est magnifique ! s'écria Sarah en approchant son oreille du vieux phonographe. Je vais essayer de l'apprendre.

Elle sortit un carnet et un crayon de la ceinture de sa jupe, puis se mit à écrire rapidement ce qu'elle venait d'entendre.

Parfait, répondit Marcel. Demain soir, un jeune homme plein de talent viendra au bar pour nous jouer quelques morceaux, peut-être pourrais-tu l'accompagner ?

Monsieur Marcel... vous savez bien que chanter en public me gêne, balbutia-t-elle, embarrassée.

Mais enfin, s'exclama le vieil homme, comment veux-tu y changer quelque chose si tu n'essayes pas ?!

Mais...

Parbleu, tu chanteras ! Ça ne te fera pas de mal, va.

Bon...

Sarah finit son service et, après avoir bu un grand verre d'eau, elle sortit sous le soleil cuisant qui régnait encore dans les rues de Londres. Elle marcha jusqu'à un croisement et emprunta la Museum Street. La jeune fille s'arrêta devant un magasin à la devanture violette et emplie de livres. Des éclats de voix retentirent ; Sarah entra.

Sarah Watson et l'héritier de SerpentardOù les histoires vivent. Découvrez maintenant