Chapitre 3

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Voilà que j'étais hors de moi. Je décidai de ne pas traîner ici plus longtemps et pris mes affaires pour partir au travail. Là-bas, au moins, je pourrais penser à autre chose. Ou du moins jusqu'à ce que je rentre à la maison et me retrouve seule face à la porte verrouillée de son bureau, encore une fois. N'y avait-il vraiment rien que je puisse faire pour l'aider à se dévoiler ?

Je savais très bien que Charles avait un secret, mais quoi ? Quel pouvait bien être ce mystère qui avait pour conséquence de changer radicalement ce qu'il était ? Je m'en voulais un peu. J'aurais dû le remarquer plus tôt, me rendre compte bien avant que ce comportement n'était pas normal, voire malsain. Pour ma défense, j'étais jusqu'ici obnubilé par tout autre chose. Je n'avais de cesse de penser à la mort obscure de Magelan.

Depuis ce fameux jour où j'avais été contrainte d'aller chercher Charles au commissariat, ce dernier me soutenait qu'il ne se souvenait pas de cette soirée. Néanmoins, tout dans la façon qu'il avait de répondre brièvement à mes interrogations et d'éviter le sujet me faisait penser le contraire. Il pouvait me soutenir mordicus qu'il n'y était pour rien, j'avais l'affreux pressentiment qu'il savait quelque chose à ce sujet.

Tous ces questionnements, ces choses pour lesquels j'étais constamment sur son dos, ne jouaient pas en ma faveur. Au lieu de vouloir se confier à moi pour apaiser sa conscience, il me fuyait comme la peste. Ma stratégie n'était peut-être pas la meilleure, il fallait bien le reconnaître.

Après mon petit-déjeuner, je pris mes affaires, m'engouffrai dans ma voiture et conduisis jusqu'au local qui nous était alloué et qui abritait le quartier général du centre dans lequel je travaillais. J'aimais profondément mon métier et réussis même à trouver un point positif à toutes les horreurs que j'avais pu traverser. Sans cela, je n'aurais sans doute jamais trouvé ma voie.

Au sein du centre, j'étais responsable de toute la partie juridique. J'aidais les femmes qui venaient nous rencontrer pour comprendre et faire valoir leurs droits. Avec nous et les bénévoles, les femmes retrouvaient une dignité. Des profils assez variés poussaient notre porte, de la femme à qui on faisait croire qu'elle n'avait aucun droit, aucune identité propre, à celle abusée par un étranger lors d'une soirée un peu trop arrosée. Quoi que ces femmes venaient chercher chez nous, des conseils ou simplement du réconfort, nous étions là pour elles.

Pour m'assister dans ces tâches aussi importantes que sans fins, il y avait deux femmes. La première, celle qui m'avait recruté, s'appelait Garance. C'était une féministe pure et dure dont l'aversion envers les comportements typiquement masculins était bien au-delà de ce que j'avais pu un jour ressentir. Durant toute son enfance, elle avait assisté impuissante à la descente aux enfers de sa mère, dont l'existence était rythmée par les coups qu'elle recevait.

La deuxième c'était, Lucie. Elle était psychologue et de son côté elle n'avait jamais vécu d'atrocités particulières. L'avoir auprès de nous c'était comme tenter de nous maintenir les deux pieds sur terre. Tout n'est pas qu'abomination dans ce monde... Quand une femme ou une jeune fille nous arrivait complètement détruite et renfermée sur elle-même, Lucie entrait en action. C'était un cadeau du ciel.

À nous trois nous formions donc notre trio de drôles de dames. Le centre était financé en partie grâce à de généreux dons. Sans cela, il ne pourrait y avoir que des bénévoles ici et nous ne pourrions pas être ouverts toute la journée et mener nos actions correctement.

Ce matin-là, à mon arrivée, le centre était déjà ouvert. Garance se faisait couler un café et dévorait son croissant, les yeux braqués sur son téléphone.

- Salut Garance ! la saluai-je chaleureusement.

- Ben alors, tu étais où ? Je commençais à m'inquiéter, je ne trouvais plus mes clés pour ouvrir.

En règle générale, c'est moi qui ouvrais le matin. Depuis que Garance m'avait embauché, je m'étais lancée à corps perdu dans mon travail. J'adorais ça.

- Tu as été au courrier ? la questionnai-je tandis qu'elle lisait sur les sites d'actualités les atrocités qui s'étaient déroulées durant la nuit dans le monde entier.

- Non ! répondit-elle simplement comme si ça coulait de source.

Étais-je la seule à savoir ouvrir une boîte aux lettres ? D'habitude, juste après avoir ouvert les locaux, je ramassais toujours le courrier et le déposais directement sur son bureau.

- Tu sais, il n'atterrit pas tous les jours sur ton bureau comme par magie, la taquinai-je. Quelqu'un va le ramasser et l'y dépose !

- Ah oui ? Qui ça ? joua-t-elle le jeu. Tu veux dire qu'il ne vole pas jusque-là ?

- C'est bon, j'ai compris, j'y vais.

Je rendis volontiers les armes. Ce travail n'était pas le genre de job où l'on était à la minute. Les matinées étaient généralement plutôt calmes. Garance s'occupait de la paperasse tandis que Lucie et moi mettions un petit coup de propre dans nos locaux. Après cela, Lucie accueillait gratuitement ses petites protégées lors de séances de thérapies privées. Pour ma part, je restais à l'accueil, donnais quelques coups de téléphone à certaines de nos habituées pour savoir comment elles allaient. Je suivais les affaires juridiques de ces dernières de près. Les journées passaient, mais ne se ressemblaient pas.

Tandis que je me rendis vers la boîte aux lettres, Garance se souvint subitement de quelque chose.

- Ah au fait Maggie !

- Oui ?

J'ouvris la boîte aux lettres et en sortis une dizaine de lettres manuscrites de femmes qui, à mon grand désespoir, préferaient nous raconter leurs histoires et leurs craintes sur le papier plutôt que de venir nous rencontrer, par peur d'être jugée où que quelqu'un les reconnaissent.

- Un homme est passé tôt ce matin quand je suis arrivée. Il a demandé à te voir !

- Un homme ? m'étonnai-je. Qu'est-ce qu'il voulait ?

- Te parler !

- Oui, ça, je pense bien, mais de quoi ? insistai-je.

- Aucune idée ! Quand je lui ai dit que tu n'étais pas encore arrivée il est parti.

- Parti, comme ça ? Et il ne t'a rien dit ? m'étonnai-je.

Elle haussa les épaules comme si je lui avais posé une question difficile. Soit il lui avait dit quelque chose, soit il ne lui avait rien dit. Qui pouvait bien être cet homme ? Je n'en connaissais pas des tonnes. Il ne pouvait pas s'agir de Charles étant donné qu'il était encore à la maison quand j'en étais partie et Paul aussi. Curieux.

- À quoi ressemblait-il ?

- Quelconque, plutôt vieux !

- Tu ne te souviens de rien d'autre ? insistai-je un peu.

Ce n'est pas que cet admirateur secret me faisait peur, mais tout de même. Je ne voyais pas du tout qui aurait eu l'idée de venir me chercher ici de si bon matin, mis à part mon psychopathe de petit ami richissime.

- Si, s'étonna Garance de ne pas y avoir pensé plus tôt. Il avait une jambe de bois.

- Une jambe de bois ? répondis-je ahurie. Tu plaisantes ?

- Ben oui, je plaisante, railla-t-elle en posant enfin son téléphone. Ne sois pas si parano. C'était sans doute juste un gars qui voulait des infos d'ordre juridique. Il repassera peut-être plus tard.

Cœur Artificiel Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant