Chapitre 36

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Charles se dirigea en toute logique du côté conducteur de sa voiture, mais c'était sans compter mon côté rabat-joie et ma fulgurance d'esprit.

- Tu as eu ton permis récemment ? le questionnai-je tandis qu'il ouvrait sa portière.

- Je te signale que c'est toi qui m'as demandé de venir te chercher. Si tu ne voulais pas que je conduise il fallait appeler Paul.

- Paul n'est pas mon majordome, mais le tien et je voulais passer du temps avec toi. Maintenant que je suis là, c'est moi qui conduis.

- Comme tu voudras ! céda-t-il en me donnant les clés à contrecœur.

- Laisse-toi guider beau brun, ça va bien se passer, plaisantai-je pour qu'il ne fasse pas sa bouille de M. grognon.

Il souffla tout de même, se dirigea vers le côté passager et s'installa. Cette voiture avait beau être superbe, je ne me laissais pas attendrir plus que ça par tous ces super équipements et sa souplesse incroyable. Je n'avais qu'une idée en tête, récupérer ma voiture à la fourrière, là où elle avait été envoyée suite à mon arrestation. Je ne voyais d'ailleurs pas pourquoi on avait fait enlever ma voiture. Peut-être Badouin voulait-il en remettre une petite couche, histoire de bien me casser les pieds. Il devait être vexé comme un pou que je lui ai refait le portrait.

Je profitai de la durée du trajet pour questionner Charles sur bien des sujets, mais surtout sur un en particulier.

- As-tu réussi à avoir quelqu'un concernant notre problème avec le commissaire Badouin ?

- Oui, j'allais t'en parler, débuta-t-il sans me regarder. C'est réglé, il ne te causera plus de problème.

- À moi ? m'étonnai-je qu'à ses yeux je sois la seule à avoir des problèmes avec lui. Tu veux dire "Nous". Ce n'est pas moi qui étais accusée de meurtre.

- Aux dernières nouvelles c'est sur toi qu'il s'était recentré.

- Peu importe, l'important c'est qu'on en soit débarrassé.

- C'est sûr.

C'est à peine s'il était heureux de me l'annoncer. Il n'arrêtait pas de pianoter sur son téléphone sans me prêter attention. Si je ne lui parlais pas, il ne parlait pas non plus. Pourtant, occupé ou non, je n'avais pas l'intention de me contenter de si peu.

- Qu'est-ce que tu veux dire quand tu dis qu'il ne causera plus de problème ? Tu as fait quoi au juste ?

Il leva les yeux de son téléphone et se concentra enfin sur moi.

- Tu crois que j'ai fait appel à des tueurs à gage pour le liquider ?

- Non ! m'offusquai-je avant de reprendre sous forme d'une question. Non ?

- Bien sûr que non ! grogna-t-il. Il sera relevé de ses fonctions dès ce soir et sera remercié pour ses services.

- Tu veux dire qu'il va être viré ? m'étonnai-je que cela soit possible.

À dire vrai, je m'étais attendue à une remontrance de ses supérieurs ou un truc comme ça, mais pas à ruiner la vie de cet homme de cette manière.

- Oui, c'est ça !

- C'est un peu extrême non ?

- Ça m'aurait étonné, souffla-t-il avant de se replonger dans son téléphone.

- Quoi ?

- Rien ne trouve jamais grâce à tes yeux Margaret. Je ne fais jamais rien de bien, je ne choisis jamais la bonne option.

- Je suis désolée, je ne voulais pas être désagréable. Ce que tu viens de faire pour nous est fantastique, me repris-je pour ne pas le décevoir.

- Je me moque de mon sort, c'est le tien qui m'intéresse, grommela Charles que j'avais réussi à rendre ronchon.

- C'est que je n'ai pas l'habitude de ça !

- D'être accusé de meurtre ? s'enquit-il. Parce que tu penses que ça m'arrive tous les week-ends ?

- Non idiot, riai-je doucement. De n'avoir qu'un coup de fil à passer pour que tous tes problèmes s'envolent.

- Tous mes problèmes ne s'envoleront pas à la suite de ce simple coup de téléphone.

- Tu veux en parler ? lui proposai-je tendrement en posant une de mes mains sur sa cuisse. C'est à propos de ton travail ?

Il secoua la tête de droite à gauche en signe de réponse puis ajouta subitement pour ne pas que j'insiste :

- Je n'en parlerai pas avec toi !

Je savais que je ne pouvais pas faire grand-chose pour lui. Il était bloqué dans ses recherches et avait laissé tomber. Ce qui devait être difficile à vivre pour lui, et je pouvais le concevoir, c'est qu'il signait l'arrêt de mort de son patient zéro. Charles était en plein deuil, c'était l'évidence même et il se situait très précisément dans la phase du déni. Il faisait pour le moment comme si tout était normal et comme s'il n'avait pas conscience de ce que sa décision allait inévitablement engendrer.

- Comme tu veux, admis-je pour ne pas le brusquer. Si tu n'as plus l'intention de t'y remettre, George aimerait beaucoup récupérer ton travail.

- Ce n'est pas du travail, ce ne sont que des gribouillages et des essais sans intérêts.

- Tu es trop modeste. Tu es un homme brillant, le moindre de tes gribouillages, comme tu le dis si bien, nous mets déjà tous à l'amende. Je sais que tu as tout jeté à la poubelle, je l'ai vu ce matin dans la benne.

- Et alors ?

- Alors, quand George est venu pour les récupérer il n'y avait plus rien. Ce matin, près de la benne, tu as compris que j'avais vu ton travail dans cette poubelle. 

- Je n'ai touché à rien, jura-t-il. J'ai tout foutu à la poubelle et ça y restera.

Il avait l'air si sûr de lui que je n'osai pas insister. Si Charles n'avait réellement pas récupéré son travail pour que je ne le récupère pas, alors qui ? George aurait-il pu me mentir en disant qu'il n'avait rien trouvé ? À quoi ça lui aurait servi de faire ça ? J'étais complètement paumée, mais je décidai de lâcher l'affaire. Je ne voulais pas me disputer avec mon homme. Je voulais simplement passer un bon moment avec lui.

- Aller ! Laissons ça de côté et passons à autre chose. Tu avais l'air de bien t'amuser avec Pauline ce matin...

Un bon moment, j'ai dit.

- Tu as raison !

- À quel propos ? demandai-je en appréhendant la réponse plus que je n'aurais voulu le laisser voir.

- C'est une garce !

- Pourquoi tu dis ça ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?

- Elle a failli me battre aux échecs, dit-il très fier de m'avoir fichu la frousse de ma vie.

- Ah ah, très drôle. C'est une garce quand même.

Ma jalousie le fit beaucoup rire et il se dérida enfin. Il remit son téléphone dans sa poche et se mit à m'indiquer la route comme si j'avais eu besoin de lui jusque-là.

- Tu n'oublieras pas de tourner à droite.

- Je sais très bien où je vais, merci. Dis-moi, qui a abordé l'autre ?

- De quoi tu parles ?

- De toi jouant avec Pauline. C'est Pauline qui est venue te le proposer ou c'est toi qui as eu cette initiative ?

- Ça a une importance ? Dans quel cas tu piquerais le moins une crise ?

- Dans les deux je pense ! avouai-je.

- Alors restons en là ! En plus on est arrivé.

Et il avait raison. La prison des voitures abandonnées ou arrachées à leur propriétaire était juste à quelques mètres. Pourvu que personne ne l'ait cabossé, j'y tenais trop. 

Cœur Artificiel Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant