La nuit n'avait pas été de tout repos pour moi comme pour Charles. Je tenais plus que tout à ce qu'il retrouve un rythme de vie plus ou moins normal. Durant ces quelques semaines troublées où j'avais eu du mal à me remettre de mon fâcheux face-à-face avec Magelan, Charles en avait profité pour devenir un animal nocturne et beaucoup trop solitaire à mon goût. À force de ne voir âme qui vive et de travailler sans relâche, il avait presque oublié que d'autres personnes vivaient avec lui sous son toit.
Avoir ce comportement n'était pas une bonne chose pour lui. Toutes ces longues heures à tourner en rond dans son bureau, sans se soucier du temps qui passait ou du fait qu'il doive se nourrir, le déconnectaient totalement de la réalité. Il devenait acariâtre et, disons le franchement, point de vue mental, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus sain de se mettre la pression en permanence comme il le faisait.
Durant toute la nuit, chaque fois que j'ouvris les yeux, il avait disparu. Je devais sans cesse aller le chercher dans son bureau et le forcer à retourner au lit avec moi, lui certifiant qu'il avait besoin de dormir. Et moi aussi d'ailleurs. Chaque fois que j'abaissais mes paupières, je me remémorais avec angoisse le fil de la journée qui venait de s'écouler. Je revoyais le petit sachet en papier vide, dans le fond de sa poubelle, en me demandant bien ce qu'il avait pu contenir. Je me remémorais l'état de fatigue et d'impuissance dans lequel j'avais retrouvé Charles, à cette histoire d'enquête sur Magelan et au commissaire Badouin qui questionnait même ma meilleure amie à propos de mon petit copain. Je songeais au lourd secret de Charles et aux possibles raisons qui le poussaient à garder ça pour lui.
Avec tout ça, je ne fermai pas l'œil de la nuit. Par trois fois je dus aller chercher Charles à son bureau et à chaque fois il avait une bonne excuse pour se trouver ailleurs qu'avec moi au lit. Je me doutais bien qu'il ne faisait pas ça par plaisir. Il ne devait pas aller très bien pour ne pas réussir à s'endormir. Sa tête à lui aussi devait être emplie de choses qui lui étaient impossibles de partager avec moi. J'avais parfois le sentiment qu'il souffrait d'une profonde angoisse de perdre son temps. Avant, il pouvait rester assis dans l'herbe avec moi à discuter, à faire de la pâtisserie ou à prendre un cours de yoga. Aujourd'hui, il refusait de prendre le temps de manger, de dormir. Il courrait après le temps. Oui, mais pourquoi ?
Le lendemain matin, quand mon réveil sonna alors que j'avais l'impression de m'être endormie il y avait cinq minutes seulement tellement j'étais exténuée, Charles ne se trouvait déjà plus à mes côtés. Je ne m'en étonnai pas plus que ça. Avec un peu de chance, je le trouverais dans son bureau, là où je l'avais repêché toute la nuit.
Je me vêtis avec mes vêtements choisis la veille et descendis pour petit-déjeuner. Je fus immédiatement accueillie par une délicieuse odeur de crêpes, mais pas de bien aimé pour l'accompagner. Je pris donc mon repas matinal toute seule et me rendis à l'étage avant de partir pour prévenir Charles de mon départ. Je gravis les nombreuses marches qui séparaient le rez-de-chaussée du premier étage et me retrouvai très vite face à une porte close. Dans un premier temps, j'eus la politesse de frapper, mais mes interpellations restèrent sans réponses.
- Charles ! le hélai-je à travers les planches de bois qui nous séparaient.
N'ayant aucune réponse, je fis croller la poignée, en espérant pouvoir pénétrer dans l'antre de la bête, sans succès. Je le hélai à nouveau, frappai encore, mais en vain. Qu'il s'y enferme pendant des heures parce qu'il avait besoin de calme pour travailler ça, je pouvais le comprendre, mais ce qui me mettait hors de moi, c'était qu'il ne me répond pas. Il faisait tout simplement le mort, comme si je n'avais pas deviné qu'il était à l'intérieur. J'étais furieuse.
- Très bien, grondai-je à son intention en m'étant un coup de pied dans la porte. Ne me réponds pas si ça te chante. Je voulais juste te dire à ce soir.
