Chapitre 39

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Les jours passèrent sans que Charles ne se remette au travail. Il passait des nuits longues et difficiles. Je le sais car j'étais le témoin de ses nuits tourmentées. Le plus difficile pour moi était sans nul doute de ne rien pouvoir faire pour lui. Il n'arrivait à trouver le sommeil que tard dans la nuit, tournant dans notre lit comme la roue d'un moulin. Les matins, lorsque je me réveillais pour aller travailler, il avait généralement trouvé le sommeil qu'il avait cherché durant de longues heures.

Pauline était vraiment infecte avec moi. Elle refusait de me parler, me considérait comme une moins que rien et n'acceptait de recevoir d'ordres ou de conseils que de Charles. Pas une fois, je ne réussis à comprendre ce qui avait fait d'elle la femme qu'elle était aujourd'hui. Après plusieurs dizaines de jours, je dus me rendre à l'évidence que cette idée était un échec.

Un soir, en rentrant du travail, j'entendis des voix qui s'élevaient de la cuisine. C'était celles de Charles et de Pauline. Depuis qu'elle était là, je les avais souvent retrouvés ensemble ces deux-là, bien que j'avais strictement interdit à Charles de s'approcher d'elle. Souvent, je me demandais ce qui se passait ici quand j'étais au travail, à quoi ils passaient leur temps, ce qu'ils se disaient...

Je fis une chose dont je n'étais pas fière, mais je voulais savoir de quoi il retournait et, surtout, si j'avais raison de me faire du souci. Je me glissai le long du mur et écoutai attentivement leur conversation.

- Pourquoi tu ne lui dis pas qui t'a fait ça ? lui demanda Charles avec des aires de paternel qui ne se prenait pas la tête.

- Parce qu'elle m'énerve grave. Elle va faire sa tête de chouineuse, va vouloir me plaindre et moi je vais avoir envie de la frapper.

Ah les relations mère fille pensai-je. De ce que je pouvais entendre, ça ne me faisait pas rêver. J'osais me demander si elle avait déjà partagé le secret de la personne qui l'avait violé avec Charles, auquel cas je pourrais toujours lui tirer les vers du nez si je le voulais. Je ne doutais pas qu'il soit facile de le faire plier avec les bons arguments.

- Tu sais, Margaret n'est pas aussi faible que tu le crois, enchérit Charles.

Margaret ? Sympa, moi qui supposais qu'il s'agissait de sa mère. Je ne savais pas ce que j'avais bien pu lui faire, mais cette gamine n'avait jamais pu me sentir.

- À d'autres ! C'est clair que c'est une pisseuse.

- Parce que toi tu n'en es pas une ?

- J'espère que non ! Tu sais, à la seconde où je l'ai vu, toute compatissante avec cet air de chien battu et ce "Je comprends ce que tu ressens" dans le regard, j'ai eu envie de lui en coller une et je me suis promise de ne jamais ressembler à ça. Tu veux que je te dise ce que je pense ? Je pense que l'homme est comme il est depuis la nuit des temps et qu'on n'y changera rien. Pour moi, tout ça c'est la faute de nos mères qui nous bercent d'illusions en nous faisant croire au prince charmant, que les hommes ont changé avec les siècles et qu'ils ne sont pas tous les mêmes. On ne nous prépare pas assez à la nature sauvage et vicieuse des hommes et, le jour où on se retrouve confronté à eux pour la première fois, on crie au scandale. Peut-être que le problème vient de nous.

- Margaret ne serait pas d'accord avec tout ça, répondit Charles avec la gorge nouée, vraisemblablement mal à l'aise.

Bien sûr que je n'étais pas d'accord avec tout ça. J'aurais aimé mettre fin à cette conversation sur-le-champ, sortir de ma cachette et expliquer à Pauline qu'elle n'avait pas à se remettre en doute et que tout ce qui lui arrivait n'était pas juste dû à la fatalité. À mon sens, il ne suffisait pas de se dire "c'est comme ça et puis c'est tout" pour que tout rentre dans l'ordre.

Cœur Artificiel Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant