Francis répondit à la troisième sonnerie. Il avait la voix ensommeillée, mais à entendre celle de son ami, il sembla se réveiller d'un coup.
"Charles, bonjour. Tu as un problème ?"
Charles s'était réveillé à treize heures d'un cauchemar affreux, en sursaut et en sueur, presque au bord des larmes et avec une horrible gueule de bois qui le cloua au lit pour les cinq heures qui suivirent. Vers l'heure du dîner, il prit son courage à deux mains pour se lever et ne pas dégoupiller, quand la lettre lui revint en mémoire avec la force d'un trente-cinq tonnes lancé à toute vitesse sur l'autoroute. Il avait alors attrapé son téléphone et fait le premier numéro qui lui venait à l'esprit. Il avait conscience de sa voix pâteuse d'ivrogne et s'en fichait pas mal.
"Francis, Francis. Il faut qu'on se voit. C'est très important.
- Quoi, qu'est-ce qui se passe ?
- J'ai reçu une lettre de Henry."
Il y eut un long silence. Il entendait encore Francis respirer lourdement de l'autre côté du fil.
"J'ai besoin de... Ciel, je ne sais pas ce dont j'ai besoin. Il faut que tu la lises."
Il mit quelques secondes avant de répondre. Sa voix était froide, comme toutes ces fois où Charles avait prétendu ne pas se souvenir des nuits qu'ils avaient passé ensemble.
"Écoute, je ne sais pas. Je n'ai pas vraiment le temps, tu sais.
- C'est très urgent. Je ne peux pas en parler au téléphone. Quand peux-tu venir à New-York ?"
Finalement, Francis a accepté de venir. Il avait demandé à ce qu'ils se retrouvent dans un bar en ville, mais Charles était bien trop flippé pour accepter de sortir de chez lui avec la lettre. Il avait insisté pour qu'il vienne chez lui. Quand son ami frappa à la porte, le jeune homme était occupé à lire sur la terasse sans réussir à se concentrer, glacé par le vent froid de novembre mais refusant d'aller à l'intérieur.
Francis avait l'air en colère. Ou en tout cas très irrité. Mais son regard se radoucis quand il croisa les yeux de Charles, pleins de sommeil et de peur. Ils s'étreignirent de manière assez conventionnelle et Charles l'invita à s'asseoir à la table de la cuisine.
"J'ai vu ta soeur, la semaine dernière.
- Comment va-t-elle ?
- Elle semble beaucoup s'ennuyer. Travailler pour votre tante n'a pas l'air très intéressant."
Charles haussa une épaule, dans un vieux tic qu'avaient les jumeaux en commun. Francis ne put s'empêcher de sourire.
"Tu veux un verre ?"
Sans attendre la réponse, il partit dans la cuisine préparer des Bloody Mary, profitant d'être hors de sa vue pour s'appuyer au comptoir et fermer les yeux quelques instants. À son retour, Francis n'avait pas bougé. Il analysait la quatrième de couverture du livre que Charles tentait de lire.
"Très intéressant, c'est ce qu'on a étudié avec Julian en seconde année, n'est-ce pas ?"
Charles a fait oui de la tête et lui a présenté son verre. Francis posa ses yeux sur les mains tremblantes de son ami. Il ne l'avait pas vu depuis longtemps et son état ne s'était pas amélioré.
"Dis moi, tu te nourris bien, Charles ?"
Il ne prit pas la peine de répondre. Francis s'inquiétait toujours comme une mère. Ou comme un amant inquiet. Charles n'avait pas le coeur a parler de ses petits soucis personnels. Il sortit la lettre de sa poche, là où il la fourrait après la lire compulsivement plusieurs fois par jour. Francis a semblé vouloir dire quelque chose mais le regard du jeune homme lui a cloué le bec. Il s'est lancé dans la lecture des quelques lignes de Henry avec grand sérieux. Plus il avançait dans sa lecture, plus son visage blêmissait. Arrivé à la signature, il avait le teint légèrement vert. Charles resta silencieux et but son Bloody Mary sans un mot. Il attendait qu'il parle.
"Eh bien... Jésus. Je ne sais pas quoi dire.
- Il va falloir en parler aux autres ?"
Francis a haussé les épaules. Son regard était fixe et effrayé.
"Peut-être. Je ne sais pas."
Charles termina son verre d'une goulée et le reposa dans un claquement sec sur la table. Il ne parlait toujours pas. Francis se prit la tête dans les mains.
"Ça peut paraitre stupide, mais dans ces moments-là j'aimerai que Henry doit encore là. Il saurait quoi faire. Enfin, c'est complètement stupide, en vue des circonstances. Mais lui savait toujours quand agir. Quand attendre."
Parler de Henry ne mettait pas Charles de bonne humeur. Malgré la tristesse d'apprendre sa mort et le lien d'amitié qu'ils avaient entretenu pendant des années à travailler côtes à côtes, il n'arrivait pas à se débarasser de sa rancoeur. Un grand nombre de choses était arrivé par sa faute, sa faute à lui seul. Certainement que Charles ne serait pas dans sa situation si quelqu'un d'autre avait tout géré, durant le meurtre de Bunny.
"D'habitude je n'y pense pas tant que ça. Et puis parfois ça me revient tout d'un coup et je ne peux plus dormir."
Charles connaissait cela. Il n'avait pas envie d'en parler.
"Qu'est-ce qu'on fait, alors ?"
Francis soupira. Il balaya les miettes sur la table du revers de sa main.
"Je pense appeler les autres. Tu préfères que je les appelle ?
- Oui, s'il te plait."
ll était au-dessus de ses forces d'appeler sa soeur, et il n'avait pas parlé à Richard depuis si longtemps que ça aurait été extraordinairement gênant. Francis se leva.
"Écoute, je m'en occupe. Je pense qu'il vaut mieux qu'on ne s'appelle pas trop. Reste chez toi, fais attention. Il ne faudrait pas attirer l'attention de la police, avec cette lettre. Garde-la, je ne me sentirai pas bien de voyager avec, seigneur."
Ils se donnèrent rendez-vous chez Francis, à la campagne, dans quelques jours. C'était l'endroit le plus discret.
"Je n'ai pas de permis, Francis.
- Quoi ? Comment ça ?
- J'ai eu un accident avec ma voiture. Enfin, celle d'un collègue. Je n'ai pas envie d'en parler," a-t-il ajouté avec un peu plus d'agressivité qu'il n'aurait voulu.
Francis a secoué ses gants blancs dans l'entrée, prêt à partir. Il avait retrouvé son air exaspéré qu'il avait eu au téléphone quelques jours avant.
"Eh bien, j'enverrai Camilla te chercher. New-York est trop loin pour que je fasse l'allé-retour et elle est plus prêt. J'irai chercher Richard s'il n'a pas de voiture non plus. Au revoir, Charles."
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The fatal flaw [le maître des illusions]
FanfictionHenry n'était plus de ce monde depuis quatre ou cinq ans alors. Ils avaient tous plus ou moins repris leur vie en main. Sauf Charles. À moins que jouer du piano pour des bars louches ne compte comme un plan de carrière. C'est lui qui reçut la lettre...