8 mama, just killed a man

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Le lendemain, Charles se réveilla couché sur le dos sans chemise, près du lac de la maison de campagne de Francis. Il entendait vaguement une voix familière prononcer son nom, mais il aurait très bien pu rêver. Soudain, le visage inquiet de Richard se pencha sur lui, obstruant la lumière du soleil. 

"Charles, pour l'amour du ciel mais qu'est-ce que tu fais ?"

Il l'aida à se relever. Charles était tellement saoûl qu'il n'avait plus aucun pouvoir sur les mouvements de son corps et il tomba rudement vers l'arrière, cognant sa tête contre le sol humide. Richard souffla et s'assit à côté de lui. Charles restait immobile, les yeux grands ouverts, comme un mort. Il avait l'impression d'être dans une centrifugeuse et son cerveau captait à peine la présence de son ami. 

"Tu as passé la nuit ici ?"

Richard lui secoua la main légèrement pour le faire réagir.

"Hum, je suis venu dans la nuit. Tu prenais trop de place sur le lit.

- Je me suis réveillé et tu n'étais plus là. Je t'ai cherché partout.

- Pardon", souffla le blond d'une voix pâteuse.

Richard resta silencieux un instant, si bien que Charles oublia totalement sa présence. Les nuages formaient de drôles de motifs dans le ciel. 

"Il est presque midi. Comment peux-tu être encore aussi saoul ?

- J'étais déprimé, renifla Charles. Je pensais que l'air frais me ferai du bien. 

- Tu vas attraper la mort."

Il ne semblait pas s'en émouvoir. Son but premier avait été de boire assez pour se noyer dans le lac, mais il s'était évanoui avant de mettre son plan à exécution. Désormais, il ne s'en souvenait même plus. 

Richard étouffa un nouveau soupir. Il se leva, aidant son ami à se relever.

"Viens, tout le monde t'attend. Il faut rentrer."

Charles voulut demander s'il se passait quelque chose de grave, mais un haut-le-cœur le plia en deux. Richard le tenait fermement par le bras. Il répandit les restes de son sandwich sur la pelouse bien entretenue. Richard l'encourageait à voix basse en lui tapotant dans le dos. S'il n'avait pas été là, Charles n'aurait pas été capable de faire deux pas. 

Dans la véranda, Richard l'assit sur une chaise et disparut à l'intérieur de la maison. Charles les entendait parler entre eux à voix basse avec urgence. Il cligna des yeux, reconnaissant au loin la silhouette carrée de Henry, avec son manteau noir. Désorienté, il se pencha en avant. C'était bien lui, avec le parapluie noir et le livre sous le bras. Il l'appela doucement, puis plus fort en voyant qu'il ne se retournait pas. 

"Pourquoi hurle-il ? Qu'est-ce qui ne va pas chez lui, bon sang ?" demanda Francis, visiblement très proche de la crise de nerf.

Richard savait mieux s'y prendre. Il s'en était rendu compte de nombreuses fois quand ils étaient à l'université ensemble : lorsque Charles était saoul, il suffisait de prendre une voix douce, comme on parle à un enfant. Les manières cassantes de Francis ne feraient que l'énerver. Or, il valait mieux garder Charles dans ses bonnes grâces. Richard n'avait pas envie qu'on lui tire encore dessus.

"Calme-toi, Charles, Henry n'est pas là.

- Je l'ai vu", dit-il, la voix tremblante. 

Camilla apparut dans l'embrasure de la porte. Elle intima à tout le monde de quitter la pièce et ferma la porte derrière elle. Charles avait enfoui sa tête entre ses mains. Sa sœur le redressa doucement. Sa voix était ferme.

"Il va falloir que tu te ressaisisse, Charles."

L'intéressé émit une grognement et détourna la tête. Sa sœur vit qu'il pleurait. Elle n'en fit aucune remarque.

"Ecoute, les Corcorans ont appelé ici. C'est le signal d'alarme. Nous avons décidé de l'itinéraire que nous allions prendre pour fuir. Tu comprends ce que ça veut dire ? Nous sommes en cavale, désormais." Elle fit une pause, replaça une mèche de ses cheveux derrière son oreille. "Or, on ne peut pas rester discrets si tu es toujours saoul. Si tu ne t'arrêtes pas, tu ne pars pas avec nous.

- Vous allez me buter, alors ? Comment vous l'avez fait avec Bunny quand il est devenu trop problématique ? cracha Charles d'une voix belliqueuse.

- Je te rappelles que toi aussi, tu en es partiellement responsable.

- Tu ne nies même pas. Comment vous allez me buter ? Vous allez me jeter dans le lac ? Me pendre dans le grenier ? J'écrirai une lettre d'adieu si ça peut vous faciliter la tâche."

Il hurlait presque. Sans prévenir, Camilla le gifla avec force. Charles se tût instantanément et posa une main sur sa joue. 

"Tu ne sais pas ce que tu dis. Bien sûr que tu viens avec nous. Seulement, tu ralentis sur la bouteille. Je ne pense pas que tu te rendes compte d'à quel point la situation est critique."

Elle lui prit la main et baissa la voix.

"Tu es mon frère, et je t'aime. Tu dois arrêter de te détruire. Pour toi, et désormais pour notre sécurité à tous."

Charles voyait rouge. 

"Tu dis seulement ça parce que tu sais très bien que vous pouvez pas m'abandonner dans un hôpital n'importe où. Parce que je parlerai. J'en ai rien à foutre que vous finissiez tous en taule, et moi avec. J'ai tout perdu, moi. J'ai tout perdu.

- S'il te plait, arrête de hurler. Par pitié, Charles."

Richard a passé la tête par la porte, pour vérifier que tout allait bien. Francis boudait dans son coin, une tasse de café à la main, une cigarette dans l'autre. Charles émit un gémissement et se plia en deux.

"Ne vomis pas sur mon tapi du Pérou", cria Francis à-travers la porte. 

Camilla essayait toujours d'avoir son attention. 

"Nous partons ce soir, à dix-huit heures. Nous avons un train en ville qui part à dix-neuf heures quinze. Nous allons jusqu'à New-York, chez toi, mettre toutes nos affaires en ordre, remplir des papiers pour l'administration. Tu démissionneras de ton travail. Ensuite, nous quitterons le pays en avion. D'abord l'Amérique du Sud, puis l'Europe. Une grande capitale, du genre Paris. Ensuite, nous ne sommes pas sûr. Certainement les Pays-Bas. Tu parles un peu néerlandais, n'est-ce-pas ?"

Elle ne reçut aucune réaction de son frère et reprit d'une voix rude, dénuée d'émotions.

"Si tu n'es pas sobre à l'heure du départ on t'abandonne près du lac."

The fatal flaw [le maître des illusions]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant