Il ne parvint pas à s'endormir et les entendit parler longtemps entre eux sans qu'il n'arrive à capter l'essence de la conversation. Il était épuisé. Il avait vaguement la conscience qu'au loin on parlait de lui mais n'eut pas le courage d'ouvrir les yeux.
"Tu devrais voir l'état de son appartement. Il a l'air vraiment malade. Tu crois qu'il est retourné à l'hôpital depuis le temps ?"
C'était Francis. Il devait pensait que Charles était endormi. Il discutait avec Richard.
"Je n'en sais rien.
- En tout cas c'est hors de question qu'il participe à toute cette histoire s'il ne s'abstient pas de boire."
C'était Camilla. Sa voix était froide. Elle était très certainement en colère.
"Tu ne lui as toujours pas pardonné, pas vrai ?
- Ce n'est pas ça. Je ne veux pas qu'il fasse tout foirer encore une fois à cause de ses déviances."
Ses déviances. Ouvrant les yeux à demi, léthargique, il battit des paupières. Il aurait voulu se tourner sur le côté pour échapper aux rayons du soleil qui lui arrivaient en plein dans la rétine.
"Je ne sais pas, il n'a pas l'air aussi belliqueux qu'avant. Il a l'air plutôt démuni, ajouta Richard à voix basse.
- Au moins il n'a pas encore essayé de nous buter dans une chambre d'hôtel avec un flingue. Il ne s'est pas encore enfui avec ta voiture, Francis."
Sa voix ne laissait pas transparaître de haine mais ses paroles, elles, oui. Charles pouvait presque entendre Francis secouer la tête.
"J'ai envie de l'aider. Et puis c'est lui qui a reçu la lettre. On ne peut pas le laisser en-dehors.
- Ce serait mieux pour lui, franchement. On ferait mieux de le déposer dans un centre et s'enfuir en Argentine.
- Vous ne m'écoutez pas, les gars. S'il n'est pas sobre, je ne marche pas."
Il y eut un silence pendant lequel Charles s'endormit profondément.
Quand il se réveilla, il était près de trois heures du matin. Quelqu'un lui avait donné une couverture et sa tasse de thé froide traînait encore sur un coin de la table. Courbaturé, le corps douloureux, il se leva en douceur. Sur le chemin de la cuisine, il fut pris de vertiges, résultat de ses carences alimentaires assez phénoménales. Il décida de s'asseoir quelque part en attendant que les autres se lèvent. Désoeuvré, il se contenta de fumer une cigarette, incapable de concentrer son esprit sur un sujet précis.
Vers quatre heures, il y eut des pas dans l'escalier. C'était Richard qui venait se servir un thé dans la cuisine. Il fut surpris de voir Charles assis à la table, dans le noir complet.
"Tu en veux ?"
Charles secoua la tête. Richard s'installa en face de lui. Il avait les épaules voûtées, témoignage de ses longues nuits sans sommeil.
"Tu as raté le dîner. Francis nous a préparé quelque chose d'incroyable, avec des champignons et des épices et tout. Il en reste une assiette pour toi dans le frigo si tu veux.
- Merci, je ne suis pas sûr de pouvoir avaler quoi que ce soit."
Richard le contempla derrière les volutes de sa cigarettes. Fait rare, il lui en emprunta une et entreprit de l'allumer avec des allumettes traînant sur la table. Charles se frotta un œil à la manière d'un enfant.
"Jésus, j'ai une gueule de bois atroce."
Richard se tut pendant de longues minutes. C'était quelque chose qu'il appréciait chez son ami : sa propension à se taire, au contraire de Francis, par exemple, qui se sentait toujours obligé de remplir les silences, quitte à dire n'importe quoi. Richard testa la chaleur de son thé du bout des lèvres et fit une grimace.
"Tu sais, j'aurai dû passer te voir à New-York, durant toutes ces années. Si j'avais sû que ça ne s'était pas amélioré pour toi."
Il était plus expansif qu'avant. Quelque chose avait changé chez lui.
"Ce n'est pas si terrible."
Richard l'observa avec sérieux. Depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, dans cette chambre d'hôtel, Charles avait perdu près de quinze kilos. Son visage enfantin avait perdu ses couleurs et arborait un teint gris maladif, souligné par les cernes de ses yeux. Ses cheveux étaient plus longs qu'il ne les avaient jamais eu et tiraient sur le brun, cachant l'éclat blond original de sa chevelure. Richard tirait sur sa cigarette sans le quitter des yeux.
"Tu n'as pas reparlé à ta soeur depuis longtemps."
Ce n'était pas une question.
"Non. Vous étiez tous tellement en rogne. C'est bien compréhensible.
- Tu perdais complètement les pédales. Après tout, ce n'est pas très étonnant. On perdait tous un peu la tête, à cette époque. Surtout après l'enterrement de Bunny."
Charles contempla son affirmation avec tristesse. Vers la fin, il n'était plus capable de démêler le vrai du faux, la vérité de ses pensées paranoïaques. Il avait débloqué, s'était ramené à l'hôtel où Henry cachait sa sœur. Ces souvenirs étaient terriblement flous.
"Je t'ai tiré dessus."
À sa surprise, Richard eut un petit rire et releva son tee-shirt.
"J'ai encore la trace. Tu n'as touché aucun organe, et pourtant la balle m'a traversé de part en part. Je savais que tu était un bon tireur, mais jusque là ?"
Charles ne trouvait pas cela drôle du tout. Il enfouit sa tête entre ses mains. Richard ne tenta pas de le consoler et continua sur une voix monotone en fixant le mur d'en face.
"Je ne t'en ai pas voulu. Même si tu n'étais pas venu avec ce flingue, Henry se serait tué quand même. Qu'as-tu fait après ce jour ?
- Je suis parti chez Nana avec Camilla. Tout s'est très bien passé, j'ai arrêté de boire pendant plusieurs mois. Nana était aux anges. J'ai commencé à travailler là-bas avec Camilla. Je ne comptais pas vraiment reprendre l'université après tout ça.
- Et tu es parti en désintoxication après, non ? Francis m'en avait parlé.
- Environ un an après. Je n'y suis pas resté longtemps. Au bout de quelques semaines je me suis enfui avec Clothilde.
- La trentenaire mariée, c'est ça ?
- Comment tu sais ça ?"
Richard haussa les épaules, le priant de continuer.
"Ouais, c'est ça. On s'est installé au Texas dans un appartement miteux et on ne faisait rien d'autre que se défoncer toute la journée. C'était un désastre. Nous avons eu de gros problèmes avec la police, à cette époque. Avec ma sœur, on ne se parlait plus vraiment." Il soupira, reprit une cigarette en se passant une main sur le visage. "Le mari de Clothilde est venu, au bout d'un moment. Il m'a passé à tabac et est reparti avec elle. Je suis resté dans un hôpital du Texas quelques temps, avec un manque atroce, inhumain. Seigneur..."
Il se tut brusquement. Richard n'insista plus. Charles lui demanda de lui raconter ce que lui, il avait fait.
"Il m'ont soigné à l'hôpital, je suppose. Je n'ai pas repris les études à Hambden cette année-là ; je n'ai même pas été obligé à passer les examens. L'année d'après je suis retourné en cours, j'ai passé mon diplôme. J'ai vécu avec Sophie Dearbold.
- Wow, sérieux ?" s'exclama Charles en riant. Sophie. "Celle qui était là à l'enterrement de Bunny ? Elle n'avait pas arrêté de me tourner autour avec Marion.
- Oui, celle-là."
Ils ont ri quelques secondes autour de leur thé, d'un rire jaune et étouffé. Finalement, Richard n'est pas retourné se coucher et ils ont joué aux cartes jusqu'au matin.
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The fatal flaw [le maître des illusions]
Fiksi PenggemarHenry n'était plus de ce monde depuis quatre ou cinq ans alors. Ils avaient tous plus ou moins repris leur vie en main. Sauf Charles. À moins que jouer du piano pour des bars louches ne compte comme un plan de carrière. C'est lui qui reçut la lettre...