10 bacchus et dieu dans ma demeure

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Le bébé pleurait bruyamment dans une autre pièce. Tera fit mine de râler mais la seconde d'après elle était debout. Charles se retourna sur le dos. Il n'avait pas dormi une seule seconde. Le sexe avec Tera était toujours intense et traînait en longueur. Non pas que cela le dérange, mais dans sa pauvre forme physique, les machineries ne marchaient pas toujours très bien. Et il était bien connu que l'alcool n'aidait pas au bon fonctionnement de l'attirail. Elle ne lui en avait pas voulu.

Il aimait bien Tera. Elle était jolie, très typée avec de grands yeux gris et des cheveux très noirs, et pas plus de trente ans. Son enfant, d'à peine un an, était né d'une relation infortunée avec son ancien patron qui ne lui avait pas permis d'avorter. Elle l'éduquait de son mieux, travaillant le jour comme nounou de fortune dans des endroits minables et passant le nuit à satisfaire les clients du bar où travaillait Charles. Elle était réglo et terriblement froide. Il ne se souvenait pas l'avoir déjà vu sourire. C'était apparemment ce qui attirait les types dans son lit.

Il n'avait eu recours à ses services qu'une seule fois, le jour de son anniversaire où il se sentait si seul qu'il voulait se pendre au-dessus du bar. Elle l'avait repêché alors qu'il n'était pas encore assez saoul pour oublier son nom le lendemain, et le soir venu elle a été virée de son studio minable par le propriétaire après une plainte des voisins sur les odeurs de crack qui s'échappaient de l'appartement. Elle avait vécu quelques temps chez lui. Ils étaient devenus amis, peut-être même amants. Charles, refuge pour les âmes en peine de New-York et toujours incapable de se sauver lui-même.

Tera revint dans la pièce avec le bébé dans les bras et un biberon dans la main gauche.

"Il y a garçon qui parle de toi au bar tous les soirs.

- Ah bon ?

- Garçon longs cheveux noirs qui fait vaisselle. C'est ton petit ami ?

- Quoi ? Non, non, Tony est un bon ami à moi.

- Ils sont tous très inquiets. Voulaient appeler police sur toi. Voir si tu étais mort.

- Eh bien, je ne suis pas mort, tu vois bien."

Tera le considéra de son regard métallique et haussa les épaules. Il lui laissa une place sur le lit pour qu'elle s'asseoit.

"Ils ont vraiment appelé la police ?

- Je ne sais pas. Ils parlaient de faire. Tony te chercher chez toi hier."

Charles se prit la tête dans les mains. Tera n'était pas le genre de femme à prendre les autres en compassion. Elle alluma une cigarette du bout de ses longs doigts onglés de noir tout en maintenant le biberon dans le gosier de son enfant.

"Toi avoir problèmes avec police ? C'est ça ?

- Hum, je ne suis pas sûr de pouvoir en parler, désolée Tera. C'est une histoire très compliquée.

- Toi me faire penser à mon premier mari. Très très gentil garçon.

- Pourquoi n'es-tu plus avec lui ?

- Buvait comme un trou comme toi. Le soir il a eu accident de voiture sur le pont et il est mort."


Lorsqu'il rentra chez lui, il était près de midi. La porte s'ouvrit dans un grincement et dans la seconde une fine tête rousse se pressa dans l'entrée. Francis avait un livre dans une main, un verre dans l'autre.

"Oh mon Dieu, c'est toi. On croyait que tu étais mort. Où étais-tu ?"

Pourquoi est-ce que tout le monde pensait toujours qui était mort ? Il se gratta la tête. Il avait terriblement besoin d'une douche.

"Je suis là, tout va bien. Vous avez bien dormi ?

- Charles, bontée divine, où étais-tu ?"

C'était Camilla. Elle était mal réveillée, avec les cheveux en bataille et pas de rouge à lèvres. Richard cuisinait des œufs au plat avec une concentration trop importante pour que ça soit naturel. Charles échappa aux deux autres en faisant mine de vouloir l'aider. Richard parlait à voix basse pour ne pas qu'on les entende.

"Je t'ai entendu parler avec cette femme.

- Bon Dieu, tu ne dors jamais ?

- J'ai le sommeil léger. Où es-tu parti ?

- Elle n'avait nul part où dormir. C'est une amie. Je l'ai accompagné à l'hôtel. J'y ai passé la nuit.

- Tu ne lui as pas parlé de... Tout ça, n'est-ce-pas ?

- Quoi ? s'offusqua Charles en s'étouffant dans une quinte de toux. Bien sûr que non, pour qui tu me prends ? C'est toi qui ne sais pas tenir ta langue lorsque tu bois."

Richard était offensé. Il ne répondit pas et continua de cuisiner ses œufs en silence. Charles avait très envie de repartir, rejoindre Tera ou n'importe qui d'autre. Il étouffait tout près de ses supposés amis. Il prévit de s'en aller aussi vite que possible. Voir Tony, jouer une dernière fois au bar avant le grand départ.

Francis et Camilla, étonnamment, étaient plus agréables que la veille. Ils montraient une sollicitude toute particulière envers Charles. Ce dernier était fatigué. Il voyait des centaines de petites étincelles danser autour de son champ de vision. Pourtant, il se sentait moins misérable que ces derniers jours. Il parvenait à lire avec plus ou moins de tranquillité un vieux livre de grec qu'il avait trouvé dans un carton. Francis s'ennuyait et n'avait plus de cigarettes.

"Que lis-tu ? Il me faut quelque chose à lire aussi pour l'avion. Je vais acheter des cigarettes. Tu en veux ?

- Oui, s'il te plaît.

- Prends-m'en un paquet aussi, Francis, dit Richard, à la grande surprise de tous.

- Tu fumes, maintenant ?" demanda Camilla dubitativement.

Richard haussa les épaules. "Ça m'arrive." Il servit les œufs au plat à tout le monde et s'installa à table. Camilla avait des dizaines de papiers étalés autour d'elle et semblait extrêmement concentrée à sa tâche.

"Richard, combien d'économies as-tu ? Toi et Charles pouvez compléter ce que donne Francis. J'ai demandé une avance à notre oncle en trouvant une raison qui me semblait plus ou moins valable. Il a accepté, va savoir pourquoi. Il n'avait jamais voulu nous donner une avance de salaire de tout le temps où on a travaillé pour lui."

Richard comptait sur ses doigts tout en avalant son œuf.

"Je dois avoir environ neuf cent dollars. Ce sont toutes mes économies."

Clairement, ce n'était pas son nouveau travail si ennuyeux qui le rendait riche. Il n'avait jamais roulé sur l'or, et même si les jumeaux n'étaient pas aussi riches que Francis ou Henry, Richard avait toujours eu du mal à boucler les fins de mois. Ses parents ne lui avaient jamais donné un seul dollar durant ses études. On pouvait lire une terrible fatigue sur son visage cendré. Personne ne fit de commentaire.

The fatal flaw [le maître des illusions]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant