PARTIE 1 - L'ANTRE DE LA BÊTE

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Une jument à la robe noire avançait vaillamment au travers du vent et de la pluie des abords de la forêt de Querod. Les jambes de l'animal tremblaient sous l'effort et sa respiration, haletante, témoignait de la grande difficulté que chaque nouveau pas représentait. Elle, tout comme son cavalier, n'avait pas beaucoup dormi ces derniers jours. La silhouette encapuchonnée étalée sur son dos n'était pas en meilleure forme. Son unique œil, mi-clos, veillait vaguement sur l'environnement l'entourant.

Rongé par la fièvre, des bandages couverts de sang et de pus un peu partout sur le corps, Lazare avait connu de bien meilleurs jours. Après avoir échappé à la mort à Isendorn, la capitale humaine, grâce à l'aide inespérée du prince héritier Aranwë Balrarion, il avait pris la route de Lothariel, sa ville natale, perdue au cœur des bois de Querod, cette étendue tropicale, dense, dangereuse. Il approchait à peine des poumons de la région qu'il savait qu'il n'irait plus très loin. Chaque mouvement lui valait une douleur indescriptible qui ne s'était qu'accrue pendant sa marche. Son genou blessé, gonflé comme la bouse explosive d'un troll malade, ne lui laissait entrevoir que peu d'espoir sur la possibilité d'arriver chez lui à temps avant de mourir d'une infection généralisée.

Et pourtant, malgré l'approche d'une mort certaine, il gardait en tête l'inébranlable volonté de retrouver sa famille. Il s'accrochait de toutes ses forces à leur image et à la peine qu'il provoquerait dans leurs cœurs s'il abandonnait maintenant. Il ne pouvait de toute façon pas baisser sa garde. S'il se sentait menacé par la garde royale humaine dans les plaines du domaine humain, ce danger n'était rien comparé à celui régnant dans l'immense étendue boisée peuplée de créatures toutes plus mortelles les unes que les autres. Parmi elles, une espèce représentait un problème immédiat : la saison des amours des manticores débutait à peine, et les femelles, affamées par la ponte et les parades des mâles, chassaient la nuit à la lisière des deux territoires puisqu'ils ne s'y aventuraient pas. Il disposait de deux heures pour trouver un abri, ne souhaitant que trop peu confronter l'un de ces monstres dans son état.

Après quelques dizaines de minutes de recherche, il finit par repérer une grotte en hauteur. Il conduisit la jument épuisée vers celle-ci et entra en baissant la tête pour ne pas se prendre la paroi rocheuse de plein fouet. Il ne restait qu'un seul problème : il devait descendre de selle, action très délicate avec une seule jambe valide. Les dents serrées, il passa cette dernière au-dessus de l'harnachement et se laissa glisser. L'équidé fit un écart au dernier moment et il tomba en avant. Son genou blessé claqua durement au sol et il se mordit la langue pour retenir un cri de douleur. Il se recroquevilla sur lui-même, crispé, incapable de faire autre chose que patienter le temps que le mal se fasse moins intense. Sa monture, curieuse, vint lui renifler un moment les cheveux avant de reculer et de se coucher au sol, en poussant un soupir de bien-être. La pauvre bête, secouée de tremblements, ne pouvait plus tenir debout une seconde de plus.

Le mal ne passa pas, il ne fit que s'accroître de minutes en minutes, jusqu'à devenir insupportable. Impuissant, dans l'impossibilité totale de se déplacer, Lazare resta plusieurs heures dans le froid, à gémir comme un enfant en manque d'attention. La température chuta drastiquement, accentuant son affliction. La nuit tomba bientôt, ses muscles se rigidifièrent de fatigue.

Couché à présent sur le dos, l'elfe n'osait plus esquisser le moindre geste. Frigorifié par le vent glacial s'infiltrant de la grande ouverture de la grotte, il ne sentait plus ses doigts et s'imaginait flotter dans la brume de ses pensées. Il s'évaporait un peu plus chaque seconde s'écoulant. Son âme toute entière ne pensait plus à rien d'autre qu'à la mort. Il espérait secrètement qu'elle arrive vite. Mère Nature ne lui permettrait pas de se relever cette fois-ci. La chance ne choisissait que les gagnants et ceux s'accrochant à l'espoir de survivre, ce qui n'était pas son cas. Finalement, las de se battre, il s'abandonna à son tourment et ferma les yeux, sombrant pour la première fois dans les ténèbres.

Lazare | Histoire courte TyrnformenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant