PARTIE 3 - MEAARAS

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L'elfe se réveilla de longues heures plus tard. Il cligna lourdement des paupières, ne voyant pour commencer rien d'autre que du sombre. Il était plongé dans le noir, bien que son ouïe fine percevait du mouvement à sa droite. Il reconnut des sanglots, étouffés par un oreiller. Il se concentra pour activer son pouvoir de nyctalopie, qui semblait avoir du mal à se déclencher. Sa vision, trouble, s'éclaircissait avantage.

Il releva la tête, dans une tentative d'étudier les alentours. Son champ de visibilité était gêné par un bandage mal-attaché, tombant sur son oeil valide. Quand il essaya de tirer sa main pour le retirer, il constata qu'elle ne lui obéissait pas. Quelque chose la retenait contre les barres du lit et il comprit très vite qu'on l'avait attaché pendant son sommeil. Il voulut appeler quelqu'un, mais les seuls signes de vie autour de lui étaient ceux de formes cadavériques qui somnolaient, parfois secouées d'un soubresaut.

Un silence malsain régnait sur la pièce. Il l'étreignait comme dans un dôme coupé du monde. Lazare ne se sentait ni mal, ni bien. Il ne souffrait plus mais une angoisse sourde s'accrochait petit à petit à lui. Il était l'offrande d'une prison de peurs et d'incertitudes qui hachait son âme sans le moindre remord. Il joua quelques instants avec ses liens avant de se tétaniser brutalement.

Là, dans le coin de son oeil valide, il l'avait vu. Les battements de son coeur affolé s'accélèrent quand il osa enfin baisser le regard sur le bas de son corps après plusieurs secondes d'immobilité. Un hoquet de surprise s'échappa de sa gorge lorsque, de ses doigts attachés, il constata sa disparition. Elle s'était envolée.

La douleur. Sa jambe. Sa jambe. La douleur.

Sa respiration s'accéléra. L'obscurité devint de plus en plus oppressante. Il voulu soulever le drap pour en être sûr mais ses liens lui interdisait le mouvement. Paniqué, il tira sur ses chaînes avec force et détermination. Les larmes montaient, la peur s'amplifiait et il avait envie de hurler comme encore jamais auparavant. Il n'en avait simplement pas la force.

Il poussa des glapissements de détresse, comme un lapereau vivant sa dernière heure sous l'arbalète du chasseur. Il devait rêver. Il était forcément en train de rêver. Un cauchemar, le plus terrible de tous ceux qu'il avait fait jusqu'à lors. L'oeil en moins, il pourrait le supporter, il aurait même encore eu une chance de garder son travail. Mais avec une jambe en moins ? Il se voyait déjà à la rue, ses deux filles contre lui, condamnées à s'occuper de l'éclopé qui les avait plongées dans la misère.

A force d'acharnement, la fine corde qui retenait son poignet droit céda brutalement. Il arracha les chaînes autour du gauche et tira précipitamment le drap. Son genou était enveloppé dans plusieurs couches de linges blancs qui prenaient peu à peu la couleur du sang. Mais en dessous, il n'y avait plus rien, si ce n'était un vide qu'il serait désormais impossible de combler.

N'y croyant toujours pas, délirant presque, il posa ses mains sur les bandages et les arracha, couche après couche, jusqu'au moignon ensanglanté qui mettrait probablement plusieurs mois à cicatriser. Dans le meilleur des cas. Mourir d'une gangrène était courant à l'époque et les risques que sa jambe ne s'infecte étaient très élevés. Pourtant, il planta ses mains dans la chair.

La douleur le fit hurler autant qu'elle lui fit comprendre qu'il ne rêvait pas. Il avait arraché ses points de suture et observait maintenant avec une fascination malsaine le liquide rouge qui s'étalait sur son drap et ses mains. La terreur fit place au silence. Rien ne serait plus jamais comme avant.

"Ki tyot yp nuptvsi, chuchota t-il, frénétiquement. Nuptvsi, nuptvsi, nuptvsi, nuptvsi ..."

("Je suis un monstre, chuchota t-il, frénétiquement. Monstre, monstre, monstre, monstre...")

Lazare | Histoire courte TyrnformenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant