Lazare | Histoire courte Tyrnformen

PARTIE 5 - TERRES SAUVAGES

Lazare passa une nuit agitée, entre douleur et peur, paranoïa et impatience. Certes, revoir Lothariel réchauffait son cœur fatigué, mais ensuite ? Les griffes du destin se fermaient sur lui sans qu'il ne puisse rien y faire. Et ses filles... Si elles le trouvaient monstrueux, il n'y survivrait pas. Réveillé bien avant l'aube, il plongea dans une intense réflexion sur ses récentes aventures et les leçons qu'il devait en tirer, sans vraiment parvenir à prendre du recul sur son cas. Et finalement, en quoi chercher des causes et des conséquences l'aiderait à avancer ? Il était perdu.

La barbare avait au moins été consolée par ses croyances divines. Lui aussi aurait aimé croire au destin si le monde dans lequel il vivait n'était pas une vaste fantaisie apocalyptique. Si les dieux existaient, ce qu'il ne reniait pas, ce n'était pas Tyrnformen qu'ils guidaient. Eux qui se disaient protecteurs et bienveillants regardaient sans broncher le monde s'auto-détruire sans jamais tendre une main vers eux pour les aider.

Au coeur de toutes ces pensées noires, une lumière apparut à l'entrée de la tente lugubre. Deux elfes en tenue guerrière, qui portaient fièrement les blasons de sa cité natale, avancèrent d'un pas assuré. Ils tiraient un brancard derrière eux et discutaient joyeusement. Dans les bribes de conversation qu'il parvenait à saisir, il comprit qu'ils parlaient de leur famille respective qu'ils avaient hâte de retrouver. Quand ils s'arrêtèrent devant son lit, Lazare, stupéfait, reconnut ses deux sauveurs, ceux qui l'avaient retiré de l'emprise de la manticore.

"Qsîv è sipvis é me neotup ? lança l'un d'eux en souriant."

("Prêt à rentrer à la maison ? lança l'un d'eux en souriant.")

L'elfe ne répondit pas vraiment, perdu dans la contemplation de leurs visages. Il ne savait pas trop comment réagir à leur présence. D'un côté, ils venaient l'aider une nouvelle fois, le sauvant d'une semaine supplémentaire dans ce désert blanc où son coeur en perdition ne cessait de ressasser le passé ; de l'autre côté, il avait toujours à l'esprit leur lâche abandon alors qu'il les suppliait avec désespoir de rester près de lui. Lazare les laissa le soulever avec une légère crispation qu'ils ne remarquèrent même pas. Ce n'était pas vraiment de leur faute, mais il ne pouvait s'empêcher de leur en vouloir. Les deux guerriers continuaient de s'adresser à lui avec entrain.

"Ki pi tyot qet sipvsí fiqyot fiyz ept, Lothariel ni nepryi, s'enjoua le deuxième. Iv vuo ? Fiqyot ryepf vseôpit-vy tys mit suyvit ?

("Je ne suis pas rentré depuis deux ans, Lothariel me manque, s'enjoua le deuxième. Et toi ? Depuis quand traînes-tu sur les routes ?

— Ki pi teot qmyt. Mi vinqt itv yp fíveom eyz qysvit fi me nusv, répondit-il d'une voix qui trahissait ses pensées noires."

(— Je ne sais plus. Le temps est un détail aux portes de la mort, répondit-il d'une voix qui trahissait ses pensées noires.")

Son gardien posa une main rassurante sur son épaule. Lazare se tendit légèrement, mal à l'aise. Ce contact de pure pitié lui faisait l'effet de la froideur d'une morsure de serpent.

"Vuyv ti qettise coip, reprit le premier, wuyt wissib."

("Tout se passera bien, reprit le premier, vous verrez.")

Cette phrase se grava dans son esprit, aussi persistante que l'apposition d'une marque au fer rouge sur la cuisse d'un cheval.

Lazare serra la poigne sur sa couverture quand l'un de ses accompagnateurs fit mine de lui retirer. Il n'était pas prêt à faire face à ça. Malheureusement, ses gardiens ne comprirent pas le message. Une main se posa dans son dos alors que le deuxième saisissait sa jambe. L'elfe découvrit pour la première fois son membre amputé, de manière franche, sans le drap pour le protéger de sa vue. La vision de ce moignon, soigneusement enveloppé dans des bandages, le terrorisa. Cette fois, il ne pouvait plus nier la vérité : il n'avait plus de jambe. La coupe avait été effectuée au dessus du genou. Il se mit à trembler, sous le choc, les yeux exorbités et le souffle rapide.