Cinquième partie

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Quatre mois et demi, presque cinq mois.

Avant Louis je n'avais jamais vraiment attaché de l'importance au temps. Aux jours qui passent, aux semaines, aux mois... pourtant c'est étrange de penser à la journée qu'on est en train de vivre, de réaliser qu'elle ne reviendra plus jamais. Même les minutes et les secondes. La seconde d'avant est passée, elle est terminée et elle ne pourra plus jamais revenir, plus jamais ne nous pourrons la vivre de toute notre vie. Plus on avance, plus on laisse de choses derrière nous, même des choses insignifiantes. Plus on avance, plus notre vie nous attend. Pour Louis c'était différent, plus il avançait, plus il laissait sa vie derrière lui.

C'est ce jour-là qu'on a échangé nos numéros de téléphone. On était resté jusqu'à la tombée de la nuit assis sur ce banc. Je me souviens que plus les heures passaient, plus Louis avait froid. La chaleur du mois d'août était étouffante et le soir était le seul moment où la température était agréable. Pas pour Louis. Plus la température devenait agréable pour moi, moins elle le devenait pour lui. Je me rappelle lui avoir demandé plusieurs fois s'il voulait rentrer, mais sa réponse était toujours la même : non. Je crois qu'il ressentait le besoin de s'éloigner de ses parents.

J'ai aimé Louis, je l'ai aimé de tout mon être et de toute mon âme. Je l'ai aimé tellement fort qu'il m'arrivait souvent d'oublier que je n'étais pas le seul à le perdre dans peu de temps. Avec le recul, je m'en suis énormément voulu pour ça, j'avais l'impression d'avoir en quelque sorte volé Louis à sa famille. Tous les moments qu'il passait avec moi, il ne les passait pas avec eux et il leur appartenait plus à eux, qu'il ne m'appartenait à moi. Comme ce jour-là. Ses parents venaient d'apprendre qu'ils allaient bientôt devoir dire adieu à leur fils unique, qu'il ne leur restait que quelques mois pour profiter de lui, et Louis était avec moi. Pourtant je ne peux pas m'en vouloir, Louis ne voulait pas rentrer. Je crois qu'il ne voulait pas se retrouver face à leur tristesse et leur douleur. Louis était la personne la plus égoïste que je n'aie jamais rencontrée, mais dans sa maladie la chose qui était la plus dure à vivre pour lui, c'était de faire du mal aux gens qu'il aimait et qui l'aimaient. Il n'avait jamais voulu accepter que ce n'était pas de sa faute, qu'il n'avait pas choisi d'être malade.

Je pense que c'est pour ça qu'il m'a rejeté au début. Il ne voulait pas que je devienne une personne de plus qui tenait à lui et qui allait le perdre, il ne voulait pas qu'une personne de plus pleure le jour où il partirait. Mais je me suis battu et j'ai gagné, il m'a laissé rentrer dans sa vie.

Ce sont ses parents qui nous ont retrouvé, ce soir-là, dans le parc. Nous étions toujours assis au même endroit. On n'avait pas réellement parlé, je crois qu'il n'en avait pas envie et moi non plus. Lui parce qu'il venait d'apprendre qu'il allait bientôt mourir, moi parce que je n'avais jamais aimé parler. Ses parents se sont énervés, ils ont crié après Louis, pas parce qu'ils étaient en colère, mais parce qu'ils étaient inquiets qu'il parte sans prévenir, qu'il disparaisse comme ça. Ils le protégeaient trop, Louis avait horreur de ça, il avait le sentiment qu'ils l'étouffaient. Il aurait aimé qu'ils agissent comme s'il n'était pas malade, mais moi je les comprenais, mes parents seraient encore plus protecteurs que les siens si c'était moi qui étais malade. Ils ne m'ont pas crié dessus, je crois qu'ils avaient trop de respect envers mon père pour ça, mais j'ai vu dans le regard de sa mère qu'elle m'en voulait. Je n'ai rien dit.

Elle a tendu un gros pull en laine à Louis, il avait tellement froid qu'il l'a mis immédiatement. Son père m'a proposé de me raccompagner mais j'ai refusé. Je n'avais pas envie que mon père se pose des questions en voyant la voiture des parents de Louis devant la maison. Mes parents aussi s'inquiétaient de mon absence, ma mère avait tenté de m'appeler beaucoup de fois et je n'avais pas répondu. Je savais qu'en rentrant à la maison j'allais avoir des problèmes, mais cela m'était égal.

Au moment de partir, quand ils s'éloignaient, Louis s'est tourné vers moi.

"Tu m'écris ?"

Je me souviens avoir hésité parce que j'avais envie qu'il m'écrive le premier. Je n'étais pas doué pour ce genre de choses. Je n'avais aucune idée de ce que je pourrais lui dire par SMS, on ne parlait pas beaucoup quand on était en face l'un de l'autre, alors par message j'avais peur de ne pas en être capable, pourtant j'ai fini par répondre :

"Promis."

C'était la toute première promesse que je faisais à Louis. En quatre mois et demi je lui en ai fait beaucoup, des promesses. Certaine que je n'ai pas réussi à tenir et d'autres que j'essaie de ne pas briser encore aujourd'hui.

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