Deuxième partie

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Je savais que ce n'était pas correct de ma part, mais le soir je n'ai pas pu m'empêcher de poser des questions à mon père. Malgré le secret médical il a toujours aimé me parler de son travail, de ses patients, sans me dire leurs noms bien sûr, mais il aimait partager tout ça avec moi. Je crois qu'au fond de lui, il avait encore l'espoir que je choisisse d'étudier la médecine à mon tour, comme ma grande sœur Gemma. Ce soir-là pendant le repas j'ai appris que Louis avait dix-sept ans, qu'il souffrait d'une leucémie depuis ses quinze ans, un cancer du sang et qu'il avait très peu de chances de s'en sortir. Je me rappelle encore de la douleur dans les yeux de mon père et les mots qu'il a prononcé.

"Les traitements font de moins en moins effet."

Je crois que c'était sa façon à lui de me dire qu'il était condamné. On pourrait croire que les médecins ont accepté la mort parce qu'ils y sont confrontés tous les jours, mais ce n'est pas vrai. Pas pour mon père. Il m'arrive souvent de le voir pleurer encore aujourd'hui. J'ai l'impression qu'il vit chaque perte comme un échec, comme si c'était lui le responsable de leur mort, je crois qu'une part de lui n'accepte pas de perdre face à une maladie. J'aurais aimé qu'il soit plus fort que le cancer de Louis.

J'ai quitté la table sans finir mon assiette, j'avais perdu l'appétit. Je me suis enfermé dans ma chambre et j'ai pensé, allongé sur mon lit je me suis mis à tout détester. J'ignorais pourquoi ça m'atteignait autant. Louis n'était pas le premier patient de mon père que je rencontrais et qui était condamné, mais j'en voulais à la terre entière, il avait seulement dix-sept ans et il allait mourir, ce n'était pas juste. Puis j'ai fini par m'endormir et ne plus penser à lui. Même si ce qu'il lui arrivait était injuste, je ne pouvais rien faire pour l'aider et j'avais mes propres problèmes.

Ma vie a repris son cour, je continuais d'aller au lycée, je continuais de m'enfermer dans ma chambre sans voir personne. Je n'ai jamais été quelqu'un de sociable, je n'ai jamais eu beaucoup d'amis, je préférais passer mon temps seul chez moi plutôt que de passer du temps avec eux. J'ai toujours aimé la solitude. Je savais que j'étais un peu différent des autres et je crois que j'aimais cette différence.

Mon existence aurait pu continuer comme elle était si je n'avais pas revu Louis. C'était deux semaines après notre première rencontre. Les cours avancés étaient finis, j'étais en vacances pour l'été. Je me souviens que nous étions censés partir en Italie avec mes parents pendant trois semaines, mais que nous avions dû annuler à cause du travail de mon père. Je me rappelle ne pas avoir été déçu, je pouvais passer tout mon temps enfermé dans ma chambre à lire ou à dessiner et je préférais ça. J'ai toujours eu horreur de voyager. Je me sentais souvent ingrat parce que beaucoup n'avait pas la même chance que moi, de pouvoir partir en vacances, mais je n'aimais pas ça. L'idée d'être loin de chez moi aussi longtemps m'angoissait, alors quand mon père nous a annoncé qu'un de ses confrères était malade et que nous devions reporter notre séjour, j'étais soulagé.

Je ne sais pas ce qu'il m'a prit ce jour-là, mais quand ma mère m'a déposé au cabinet de mon père je suis rentré dans son bureau sans frapper. C'était la première fois que ça m'arrivait, je n'avais jamais fait ça avant. Quand la porte de son bureau est fermée cela veut dire qu'il est en consultation et je le savais pourtant. Je crois que j'étais ailleurs ce jour-là. Je venais d'apprendre que Gemma rentrait à la maison pour le week-end. Elle étudiait la médecine à Londres et même si on n'habitait qu'à quelques heures de la capitale, ce n'était pas évident pour elle de venir nous rendre visite. J'étais excité et impatient de le dire à mon père. Je suis rentré dans la pièce comme une tornade, seulement il n'était pas seul. Louis était là avec ses parents, tout le monde me regardait et je me suis senti mal, j'ai bafouillé des excuses avant de quitter le bureau aussi rapidement que j'y étais entré. Je me suis senti ridicule, mes joues me brûlaient tellement j'avais honte. Je suis retourné dans la salle d'attente et j'ai attendu parce que c'est la seule chose que je pouvais faire. Louis est sorti le premier, seul et dès que j'ai vu son regard moqueur je l'ai détesté. Il est venu s'asseoir à côté de moi.

"Vraiment réussie ton entrée. Félicitations."

Je me souviens m'être renfrogné en grognant avant de lui dire de la fermer. Il a ri. C'était la toute première fois que j'entendais son rire. Je lui ai demandé ce que faisaient ses parents, pourquoi ils n'étaient pas sortis avec lui. Je me rappelle de l'ombre qui est passée dans ses yeux quand il m'a répondu qu'ils devaient discuter seul à seul avec mon père. Il avait horreur de ça, être exclu, il ne supportait pas d'être mis à l'écart. Il me répétait sans cesse qu'il avait l'impression qu'on lui mentait ou qu'on tentait de le préserver quand on l'éloignait. Il ne voulait pas être préservé.

On n'a pas beaucoup parlé ce jour-là, je me sentais trop ridicule pour ça et je n'avais pas envie de discuter avec lui. Il s'était moqué ouvertement de moi. C'était la deuxième fois que je le voyais et c'était la deuxième fois que ma fierté en subissait les conséquences, j'ai toujours été quelqu'un de fier et c'était trop pour moi. Je préférais l'ignorer et envoyer des SMS à mon meilleur ami, mon seul ami en réalité, mais Louis a fini par briser le silence.

"Je viens ici toutes les deux semaines."

Il s'est tu un moment avant de rajouter :

"À 15h."

Je ne lui ai pas répondu. J'ignorais pourquoi il me disait ça et ça ne m'intéressait pas, ça m'était égal de savoir qu'il voyait mon père toutes les deux semaines à la même heure. Pourtant quand ses parents sont sortis et qu'au moment de partir, quand il m'a demandé si je serais là la prochaine fois, j'ai répondu oui.

J'ai répondu oui sans savoir que j'allais être présent la prochaine fois et toutes les fois suivantes.

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