Les jours suivants j'ai longtemps réfléchis. Je ne savais pas si je devais retourner voir Louis la prochaine fois qu'il irait à son rendez-vous avec mon père, puis à force de réfléchir j'ai réalisé que je n'avais pas envie de le revoir. Louis n'était rien pour moi. Je ne le connaissais pas, je ne connaissais rien de lui, seulement sa maladie. À mes yeux il était une maladie et je n'avais pas envie de revoir une maladie, ou pire encore, de m'y attacher. Après ce qu'il s'était passé j'ignorais s'il avait envie de me revoir lui aussi, mais moi j'avais pris ma décision, je n'y retournerais pas.
Pendant deux semaines j'ai essayé de ne plus penser à lui mais ce n'était pas facile. J'avais l'image de son crâne lisse tout le temps dans ma tête, je me demandais à quoi il ressemblait avant d'être malade, comment était sa coupe de cheveux ? J'ignorais pourquoi mais j'étais persuadé qu'il ne les avait pas courts. Comment était son regard quand il avait encore des cils ? Comment se fronçaient ses sourcils quand il était en colère ? J'étais certain qu'il les haussait quand il provoquait les gens. Je me suis demandé plein de choses sans intérêt, des choses qui n'étaient pas censées m'intéresser mais qui le faisaient quand même. Puis j'ai réalisé que si j'avais envie de savoir toutes ces choses-là j'avais juste à les lui demander, alors j'y suis retourné.
J'étais là à 14h30, je ne voulais pas être en retard cette fois, sauf que c'est lui qui n'est pas venu. Je me suis senti trahi. Je n'ai pas osé demander à mon père pourquoi Louis n'avait pas assisté à leur rendez-vous, si je l'avais fait, j'aurais su que c'était parce qu'il n'était pas en état de sortir de chez lui ce jour-là. Mais je ne l'ai pas fait et je lui en ai voulu, il m'avait dit qu'il venait toutes les deux semaines à 15h et il n'était pas là. Je l'ai détesté de ne pas avoir été là. Je l'ai détesté jusqu'au jour où je l'ai revu et ce jour-là c'est moi que j'ai haïs de l'avoir détesté.
C'était les deux semaines suivantes. Je ne savais pas s'il serait là vu qu'il était absent la fois précédente. Il était bien là et je me rappelle qu'à ce moment-là j'aurais préféré qu'il ne soit pas présent. J'étais une fois de plus arrivé en retard, j'avais attendu au moins trente minutes dans la salle d'attente à lire les magazines ennuyants que mon père achetait pour ses patients. La consultation durait plus longtemps que d'habitude et j'avais senti au fond de moi que ce n'était pas normal, que c'était inquiétant. Encore aujourd'hui je donnerais tout ce que j'ai de plus cher au monde pour que ce jour n'ait jamais existé. Mais il a existé. Il venait d'apprendre que son corps ne répondait plus du tout aux traitements, que c'était terminé, son cancer prenait le dessus. Quand la porte du bureau s'est ouverte Louis était seul et ses yeux étaient rouges, il retenait ses larmes. J'entendais la voix de ses parents et celle de mon père mais je n'y faisais pas attention.
"Je veux partir d'ici.
- Mais tes parents...
- Ça m'est égal."
Alors on est sorti. On a quitté le cabinet de mon père sans rien dire à personne, nous avons marché dans la rue l'un à côté de l'autre, sans un mot. Ce jour-là je l'ai regardé réellement pour la première fois. J'ai essayé de regarder à travers sa maladie parce que c'était trop dur. Je ne l'avais pas vu pendant un mois et il semblait encore plus malade qu'avant. Il semblait plus maigre, ses joues étaient encore plus creuses et les cernes sous ses yeux encore plus foncées. Il semblait plus pâle aussi. Mais ce qui était le plus difficile c'est qu'en réalité il ne semblait pas, il l'était. Il était plus pâle, plus maigre, plus malade. Et c'est pour ça que je m'en suis voulu de l'avoir détesté, parce que j'avais compris que s'il n'était pas venu, c'était parce qu'il ne pouvait pas.
On s'est assis sur un banc dans un parc et il avait froid. Je m'en souviens parce que je me suis senti mal de ne pas avoir de veste ou de pull à lui proposer, mais ce n'était pas normal d'avoir froid en plein été. Assis l'un à côté de l'autre à ne rien regarder devant nous, j'ai brisé le silence en premier.
"Combien de temps ?"
Je réalise aujourd'hui à quel point ma question était dure, mais qu'est-ce que j'aurais pu lui dire d'autre ? Je savais qu'il allait mourir et je savais que lui aussi le savait. Il me l'avait dit le jour de notre première rencontre. Quand il est sorti du bureau de mon père et que j'ai croisé son regard, j'ai compris qu'il venait d'apprendre combien de temps il lui restait.
"Deux mois. Trois avec un peu de chance."
Je suis resté un long moment silencieux, mais contrairement à quelques minutes avant, je ne regardais pas le vide devant moi. Je visualisais le reste de la vie de Louis dans mon esprit. J'essayais d'imaginer ce que l'on pouvait ressentir quand on savait que notre vie allait s'arrêter. Puis j'ai fini par lui répondre, j'aurais pu lui dire que j'étais désolé pour lui, mais cela n'aurait servi à rien. Être désolé pour lui n'aurait pas effacé son cancer ou rajouté des mois à sa vie. Alors j'ai simplement murmuré :
"Deux mois ça laisse le temps d'être heureux."
Mais il m'a coupé.
"Trois, pas deux. Je vivrai encore trois mois.
- Et si tu ne tiens que deux mois ?
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? Tu ne seras pas là pour le voir."
Mais il avait tort, j'ai été là pour le voir. J'ai été là jusqu'à la fin. Il a tenu presque cinq mois, deux mois de plus à ses yeux, trois aux miens.
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À Demain
Fiksi PenggemarUne nouvelle histoire à partager avec vous. En espérant que vous l'aimerez, comme moi j'ai aimé l'écrire. Bonne lecture. ♡