Dix-septième partie

1.7K 202 14
                                    

À Demain.

Deux mots que j'avais pris l'habitude de dire à Louis. Je ne me souviens pas exactement quand est-ce que je les ai prononcé pour la première fois, mais à partir de ce jour-là, ce sont devenus nos mots à nous. Louis allait mourir et même si à ce moment-là il avait encore du temps devant lui, je crois que j'avais besoin de me raccrocher à quelque chose. Ce n'était que deux simples mots, mais pour nous ils représentaient beaucoup. On ne se voyait pas tous les jours, mais nous nous parlions, soit au téléphone, soit par messages et à chaque fois que l'on se quittait pour la nuit c'était ce que je lui disais. Cela pouvait sembler dérisoire, mais ça comptait pour moi, c'était ma façon à moi de lui faire promettre qu'il serait encore là le lendemain.

Quand une personne a qui nous tenons est sur le point de mourir, je crois que l'on ne voit plus la vie de la même façon. Tout devient différent, les choses qui nous semblaient indifférentes prennent de l'importance.

J'avais besoin de ces mots et ce soir-là, quand Louis m'a répondu "non" j'ai réellement pris conscience que je ne le reverrais plus jamais. Quand j'ai lâché sa main, j'ai compris que je n'étais pas en train de lui dire au-revoir, mais adieu.

Qu'il n'y aurait plus jamais de Demain.

Durant le trajet du retour maman a été incapable de retenir ses larmes, moi je n'ai pas pleuré. Assis sur la banquette arrière, je me souviens que je regardais ma main, posée sur ma jambe, la paume ouverte vers le haut, j'avais l'impression de sentir encore le contact de Louis. C'était la dernière partie de moi qu'il avait touché physiquement et je ne voulais pas oublier la sensation. Il m'arrive encore souvent aujourd'hui d'imaginer sa main qui tient la mienne.

Je ne voulais pas pleurer devant mes parents, ils savaient que j'étais malheureux, mais eux aussi l'étaient et je ne voulais pas qu'ils le soient encore plus à cause de ma propre peine. Même si j'avais voulu pleurer, j'en aurais été incapable, tout ce que je ressentais était bloqué en moi, même si Louis n'était pas encore mort, notre vie à tous les deux, était terminée. Je me sentais vide, j'avais le sentiment de ne plus rien avoir à l'intérieur de moi, comme s'il avait tout emporté avec lui.

"Bientôt il ne souffrira plus."

Ce sont les seuls mots que j'ai prononcés quand nous sommes rentrés à la maison. Maman a essuyé son visage et m'a pris dans ses bras. C'était dur pour moi, j'avais l'impression qu'on commençait le deuil de Louis alors qu'il était encore vivant. Je n'ai rien dit, je l'ai laissé faire, je savais qu'elle en avait besoin. Son chagrin était différent du mien, c'était un chagrin de maman, elle imaginait la douleur que devait ressentir la mère de Louis, elle imaginait sa propre douleur si j'avais été à la place de Louis. Je la comprenais, seulement je n'avais pas la force de lui rendre son étreinte, je suis parti dans ma chambre.

J'ai passé ma nuit allongé dans mon lit à penser à Louis et à tout ce que nous avions vécu. Je l'imaginais dans son sous-sol, lui aussi allongé dans son lit, ses parents autour de lui. Ça m'a fait mal, c'était douloureux.

Louis s'est éteint trois jours après. C'était le jeudi 5 janvier 2005, il est parti le matin avant que le soleil ne se lève, dans les bras de sa mère.

Je n'ai que très peu de souvenirs de ces trois jours. Je n'arrivais pas à mettre de mots sur ce que je ressentais. J'avais dit adieu à Louis, mais pourtant il respirait encore à quelques kilomètres à peine de moi. Je m'interdisais de pleurer sa mort alors qu'il était encore là, tout était très confus pour moi. Je crois que j'attendais sa fin, la fin de cette souffrance qu'il endurait depuis trop longtemps. J'espérais qu'il y avait quelque part, dans le ciel, un endroit qui l'attendait et qui aurait été crée pour lui.

Quand ses parents ont téléphoné pour annoncer qu'il nous avait quitté, je me suis senti soulagé, pas pour moi, pas pour sa famille, pas pour nous, mais pour lui. Il était enfin libéré de cette maladie qui le détruisait et le faisait souffrir.

Il n'y a pas eu d'enterrement, Louis a été incinéré, c'était son souhait et ses parents l'avaient respecté.

Je sais que l'âme de Louis est toujours là, tout autour de nous, elle nous entoure et nous protège. Louis veille sur nous, sur moi.

À Demain Où les histoires vivent. Découvrez maintenant