Chapitre 7 - corrigé

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Lors de la visite d'un château, nous pensons pouvoir imaginer comment cela était au XVIIIème siècle ; Fourmillant de monde qui danse à la lueur des chandelles. Mais c'est une grossière erreur. La réalité est inimaginable.

Les hautes voûtes du plafond disparaissaient derrière plumes et fleurs, ne nous laissant distinguer que des bribes de fresques murales. Les lustres de cristaux rehaussaient cette impression de grandeur en plus des fenêtres hautes de 2 mètres englouties par le noir obscur de la nuit. Emerveillée à l'entrée de la salle musicale qui s'étendait sous nos pieds, Natalia eut le plaisir d'enfoncer son coude dans mon flanc.

Le tissu duveteux de ma robe glissait sur les marches à chacun de mes pas telle une traine de brume. Nous nous dirigeâmes vers les deux buffets partant de part et d'autre de la pièce. Tous deux étaient garnis de pièces montées rocambolesques et de tartelettes artistiquement posées. L'odeur du vin chaud embaumant la pièce se mélangeait aux effluves du veau cuit. Natalia se saisit de deux coupes de champagne et m'en tendit une dont les petites bulles éclaboussèrent ma poigne. Je trempai mes lèvres d'abord délicatement dans le liquide pétillant, avant de le boire d'une traite. Tout courage était bon à prendre, surtout lorsqu'il était aussi fruité que celui-là.

Je pris place sur la banquette d'un petit recoin pour mieux observer et imiter mes compères. Les éventails féminins tapaient par inadvertance l'épaule d'un bellâtre. Un bellâtre flirtait nonchalamment avec l'amie de sa véritable victime. Un véritable ballet se déroulait sous mes yeux attentifs. Et au milieu de tout cela, l'orchestre jouait un air entrainant tandis que les domestiques s'affairaient à leur tâche comme des ombres.

Les premières notes d'un menuet - une danse que j'avais particulièrement aimé apprendre par sa gaieté - retentirent dans la salle. Une excitation générale se saisit des invités déjà prêts au centre du parquet.

- Allons danser !

Je me levai d'un bond prise d'euphorie et entraînai déjà mon acolyte vers les autres danseurs. J'évitai de justesse plusieurs groupes en plein débat et déposai ma flûte en tournant, sur le plateau dorée d'un valet en queue de pingouin. Mes yeux brillaient d'émerveillement lorsque l'on se retrouva au milieu de ce spectacle.

Natalia se plaça à mes côtés sur la ligne des femmes. Une jeune fille aux cheveux aussi noirs que le plumage d'un corbeau ne cessait de faire d'adorables petits rebonds. Elle s'exclamait d'une voix enfantine à priori trop forte pour ses voisines.

-Il s'agit de mon premier bal ! A vrai dire, il est même donné en mon honneur... chuchota-t-elle fièrement les pommettes rouges.

Là où les autres voyaient un comportement indécent, je voyais une adolescente qui profitait de sa vie. Portant mes doigts à mes joues, je constatai qu'elles étaient aussi chaudes qu'étaient rouges celle d'Isabelle.

- Chère Isabelle, écoutez la musique ou vous allez louper le départ, réprimanda une fille tout aussi jeune qu'elle.

La deuxième gamme raisonna et les hommes nous saluèrent ; la note suivante enchaina et les femmes les saluèrent à leur tour. La mélodie s'éleva ensuite dans une vitesse époustouflante où hommes et femmes se croisèrent, tournoyèrent et changèrent de place.

Ma robe suivait le moindre de mes mouvements et se balançait de gauche à droite. Lorsqu'un cavalier me faisait virevolter, mon regard était attiré par la profondeur du plafond. Les arcs se rejoignaient en un centre aussi rond qu'une horloge. Les dieux grecs y étaient représentés sous forme de sculpture d'or avec leurs attributs en main au milieu des fleurs et des plumes. Lorsque je tournais en dessous d'eux, je me sentais flottée hors de mon corps. J'étais comme une déesse de l'Olympe ; Celle qu'ils servaient et qu'ils attendaient pour se réveiller de leur long sommeil. J'imaginais facilement les sculptures se mouver au rythme de mes pas. Comme si la prochaine fois que je les observerai, ils me tendraient la main pour que je prenne ma place parmi eux.

Le final explosa et les applaudissement fusèrent. La magie se dissipa et les dieux m'oublièrent. Les danseurs se saluèrent pour la dernière fois et quittèrent la scène me laissant seule. Je regardai toujours en l'air, ma poitrine se levant et s'abaissant au rythme de ma respiration saccadée. Et je ne vivais pas seulement, j'étais vivante.

- M'accorderez-vous cette volte, Madame ?

Une voix me ramena sur terre et je soufflai de béatitude avant de décliner poliment la demande, le regard dans le vide.

-Je m'excuse mais je suis légèrement fatiguée, Monsieur.

Une pression dans mon dos me poussa à me retourner vers les personnes. Natalia déclara précipitamment en me poussant vers des doigts tendus vers moi :

-Bien sûr qu'elle vous l'accordera, Monsieur le Vicomte de Nicolay. Je vous prie d'excuser sa grossièreté, elle nous vient de loin.

- Cela me comble de joie. Cependant, je veux être sur que cette Dame soit du même accord que vous, protesta l'homme dans ma direction.

Les doigts fins appartenaient à une main puissante dont le propriétaire arborait une cicatrice à la pommette. Je reconnu d'abord ses yeux fiévreux qui voulaient emprisonner quiconque osait les braver. Un sourire placide se forma au creux de sa bouche, face à mon regard sidéré, et adoucit ses traits. Je posai mes doigts sur sa paume chaude, ne pouvant réellement refuser malgré ce qu'il prétendait.

-Bien évidemment, Monsieur le Vicomte de Nicolay.

Le Vicomte – fils cadet d'un comte - de Nicolay m'entraina plus près encore des musiciens. Les nobles s'écartaient sur le passage de leur hôte et se résignèrent à quitter le parquet sous le regard entendu de celui-ci. Il me laissa au milieu de la piste, à présent vide, sous le regard intrigué d'une centaine de personnes.

Tel un félin intimidant sa proie, le Vicomte tournait en petit pas autour de moi réduisant l'espace entre nous. Son manteau couleur métal seyait sa silhouette, et ne laissait place à aucune imagination sur sa légère musculature. Il arborait un jabot à col immaculé d'une finesse sans précédent. Même sous son immonde perruque blanche, il laissait pantoises les femmes présentes dans la salle.

Je cherchai en vain dans mes souvenirs les pas de la volte. Et la réalité me frappa lorsque retentit le premier coup de violon. Je ne l'avais pas apprise car cette danse ne se jouait plus depuis Henri II.

Mon cavalier se pencha dans une révérence sans se départir de son regard malicieux. Je lui rendis son salut et ma robe s'étala de part et d'autre de mon buste tel un lotus en pleine éclosion. Le Vicomte frôla de sa main le creux de mes reins avant de se positionner face à moi. Son bras me ramena fermement contre lui obligeant mes doigts à s'accrocher à ses épaules. L'odeur âcre du vin dénotait du parfum boisé que je reconnus chez lui. Il attrapa ma taille pour me soulever à quelques centimètres du sol afin de virevolter. Ne sachant que faire, je cambrai gracieusement le dos provoquant l'émerveillement de la foule.

- Laissez-vous entrainer, susurra-t-il contre mes cheveux.

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