Chapitre 3 - corrigé

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Mon corps grelottait et mes cheveux dégoulinaient formant une petite flaque sur le tapis rêche à motifs orientaux. Je frictionnai mes bras grâce à l'unique torchon propre de l'arrière boutique du « Rossignol ». Mon reflet dans la baie vitrée renvoyait une piètre vision entre mon teint plus pâle que d'habitude et le mascara sillonnant de traces noires mes pommettes.

Monsieur Rossi réapparut avec son service à thé chinois posé sur son plateau argenté fétiche. Il versa le tout dans deux tasses, avant d'y ajouter une lichette de lait. Ayant à peine touché au mien durant le rendez-vous, ma bouche sécrétait déjà de la salive tant le liquide me donnait envie.

- C'est parfait. Merci, le remerciai-je.

Une question se lisait sur son visage. Je pris soin d'avaler une gorgée et de respirer un bon coup avant d'y répondre.

-Non, je n'ai pas décroché de stage.

J'appuyai fortement sur mes paupières dans un soupir bruyant. Je me faisais la réflexion qu'il fallait que je sois plus transparente dans mes expressions faciales lorsque Monsieur Rossi me réprima.

-Je connais cette moue jeune fille. Tu ne me dis pas tout !

Prenant le courage d'avouer mon humiliation, j'expliquai dans les moindre détails le rendez-vous précédent mon retour. Le vieil homme face à moi semblait des plus intéressés. Aucune taquinerie ne traversa sa bouche, ce qui était étonnant de la part de cet être au grand sarcasme. Il écoutait attentivement et me demandait de répéter certains détails de la théorie. Mais ce qui me surprit le plus fut sa réponse.

-En quoi est-ce impossible ? Nous ne sommes plus en 39-45, mais au XXIème siècle. La technologie fait des merveilles de nos jours.

Il faisait toujours des allusions à la guerre alors qu'il ne l'avait pas connue. Du haut de ses 71 ans, le manque d'aventure le pesait et rendait sa vie dénuée de sens depuis le décès de sa femme comme il le disait lors de nos soirées éclairées au feu de bois.

-Il est impossible de voyager dans le temps, on n'est pas dans un film voyons ! J'espérais un peu de soutien de votre part... m'énervai-je ma voix déraillant dans les aigus.

-Tu ne peux pas savoir, tu n'as pas laissé sa chance à ce chercheur.

-Car il est complètement fou !

-Je ne suis pas d'accord avec toi. Les hommes vont sur la Lune, bientôt sur Mars. Les voitures se conduisent toutes seules et des robots sont créés pour réaliser ce que l'homme ne peut faire. Les scientifiques ont même trouvé le moyen de cloner les humains grâce aux cellules souches des bébés. Voyager dans le temps n'est qu'une avancée de plus.

-Ça n'a pas de sens, cela aurait été rendu public !

Dans un mouvement de lassitude, je heurtai ma tasse qui se renversa sur le torchon. Un nouveau de taché.

-Peut-être n'est-ce que le début d'une nouvelle ère. Quand on a la chance de vivre une aventure, il ne faut pas la laisser filer ! Je ne te connais pas ce trait de caractère jeune fille. Où est passée ta fougue ?

Son excitation remplaçait la tristesse qui assombrissait ses traits tantôt à mon arrivée. Ma volonté s'ébranlait face à ce petit homme que j'étais venue à aimer comme un grand-père. J'avais toujours eu ce besoin de le rendre fier de moi, de ne pas le décevoir. Il était seul là où je l'étais aussi, et nous nous accrochions aux moments de bonheur que l'on s'apportait.

***

Je me réveillai en sueur, au milieu de mon lit, sans dessus-dessous. Les coussins avaient été jetés par terre et la couverture pendouillait sur le côté. Je ramassai un oreiller pour y enfoncer ma tête dans un râle de désespoir. Le souvenir d'une ville contaminée par la Peste Noire me revint. Les barbiers – aussi chirurgiens au Moyen-Age – s'occupaient des corps noircis par la maladie. Les portes, barricadées de l'extérieur, arboraient une croix rouge pour cloitrer les pestiférés dans leur maison. Une épaisse fumée sombre s'envolait là où les morts brûlaient, empêchant leur âme de trouver le repos éternel pour ces croyants.

Cela faisait quatre nuits que je ne cessais de faire des cauchemars. Quatre jours que ce rendez-vous hantait mon esprit. Je saisis mon téléphone pour y chercher une centième fois les termes qu'Edgar Madson avait employés. Les recherches furent vaines encore une fois, celles sur le laboratoire ne dévoilant rien des activités spatio-temporelles de celui-ci. Ne pouvant tenir en place une seconde de plus, je fuis la solitude qui ne laissait aucun répit à mes pensées.

Lorsque je me présentai à la boutique à une heure aussi matinale, Monsieur Rossi arborait le même petit sourire en coin que ces derniers jours. Il recollait soigneusement les morceaux d'une fleurs de lotus ornant la porte d'un placard napoléonien, l'odeur familière de la colle à bois apaisant mes nerfs à vif.

-Si vous dîtes quoi que ce soit, je ne réponds plus de mes actes, anticipai-je en pinçant l'arrête de mon nez en trompette.

Mais il n'en fit qu'à sa tête comme les quatre autres matins.

-Quelle mine affreuse, tu as encore mal dormi. Je me demande bien pourquoi...

Je grommelai dans ma barbe et m'installai à même le sol devant la table basse. Mes bouquins sur la Révolution étaient étalés, pourtant il m'était toujours impossible d'écrire ne serait-ce qu'un mot. Mon esprit avait le mince espoir à cause de Monsieur Rossi qu'une aventure me tende les bras. Le bout de mon crayon tapotait l'acajou au rythme de mes pensées. Et pour la première fois, le regard perdu sur mes livres, je m'autorisai à imaginer ce que cela serait d'arpenter le XVIIIème siècle. Porterais-je une de ces magnifiques robes bouffantes? Comprendrais-je l'ancien français? Arpenterais-je en courant les longs couloirs d'un château?

-Les réponses à tes questionnements se trouvent à Versailles, glissa le propriétaire du « Rossignol » en passant derrière moi.

Dans un sursaut, je sorti de ma torpeur et haussai les épaules.

-Je réfléchissais simplement à mon mémoire.

-Quelle mauvaise foi ! Mais soit. J'ai une dernière question pour toi Elia, ensuite je ne t'en parlerai plus jamais.

Désormais Monsieur Rossi avait toute mon attention.

-De quoi as-tu peur ?

-Comment ça ?

-Pourquoi ne vas-tu pas à ce fameux laboratoire, cela ne t'engage à rien. Tu verras simplement l'endroit de l'impossible, cita-t-il en mimant des guillemets. Ce lieu pourrait te surprendre et qui sait... te faire vivre la plus fantastique des aventures.

-Monsieur Rossi... pour répondre à votre question, c'est toute cette histoire qui me fait peur. C'est tout simplement impossible !

Il arrêta de mélanger sa mixture et vint prendre mon visage entre ses doigts tachetés. Son front déjà ridé se plissa encore plus dans une expression de bienveillance pure qui toucha mon âme.

-Ne laisse jamais la peur prendre les décisions à ta place, jamais tu m'entends ! Ni la rationalité. Il y a une grande différence entre « vivre » et « se sentir vivant ». Elia, va à Versailles où tu le regretteras un jour. Qu'as-tu à perdre ?

Jusqu'à la fin de la journée, je ne pus me concentrer sur autre chose. C'était peine perdue. Ses paroles tournaient en boucle dans ma tête pour engendrer des dizaines d'hypothèses. Des dizaines d'espoirs. Et une fois dans mon lit, seule au milieu des ténèbres, je pris la décision qui m'empêcha de rejoindre Morphée de tout le reste de la nuit : Demain, j'irai là-bas.

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